Interview de Pierre Bordage

Vu sur Twitter une interview de Pierre Bordage proposée par Anudar.

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Le Peuple de Dune (10)


Les circonstances sont la clé.

Elles fournissent les avantages tactiques

et souvent les meilleurs alliés,

mieux que n’importe quel manuel.

— Sayam Tal’Arud, maître stratège – Discours.


La porte de la navette s’ouvrit sur le spatioport d’Arrakeen, et l’air surchauffé se rua sur Zylves Thira. Aucun souffle de vent ne venait troubler la pesante atmosphère de la région protégée par le Mur du Bouclier. Il nota au loin la présence de miradors, et un peu partout de nombreux gardes sardaukars en uniforme. D’une démarche rapide, il traversa l’aire de débarquement, et soupira de soulagement lorsqu’il il atteignit enfin l’ombre du bureau de transit.

Il se demanda combien de temps mettrait son organisme à s’habituer à son nouvel environnement… ou même s’il s’y habituerait un jour.

Il passa sans difficulté les formalités de contrôle grâce à ses documents contrefaits. Après quelques minutes de marche qui lui parurent des heures à cause de la chaleur oppressante, il s’enfonça avec soulagement dans les rues d’Arrakeen en même temps que dans sa nouvelle existence.

Il trouva à se loger dans une sorte de taverne de garnison et attendit le soir. S’il avait espéré y trouver un peu de fraîcheur et moins de patrouilles, il fut déçu. Mais cela ne l’arrêta pas. Il mit a profit ses capacités pour rejoindre le premier contact sélectionné sur une liste qu’il avait mémorisée.

La nuit semblait plus dense dans les ruelles. Les premières rencontres de Zylves l’avaient mis en possession d’informations précises, et surtout en relation avec des hommes utiles. Il était convenu qu’il logerait chez un certain Thyrath, le temps de trouver un établissement plus conforme à sa mission.

En marchant entre les maisons basses et uniformes, il répétait ses plans. Il était évident qu’il ne pourrait disposer d’une usine moissonneuse. Il devrait donc organiser des équipes de récoltes et une installation de raffinage fixe. Les composants seraient facile à rassembler et il avait déjà quelques associés fiables que quelques mois de présence sur Arrakis avaient formé aux techniques de moissonnage.

La base pose toujours problème. Plusieurs endroits paraissent possibles sur les cartes, mais je dois pouvoir les explorer.

Des éclats de voix le tirèrent de ses pensées. Au détour d’une allée plongée dans la pénombre, deux sardaukars entouraient une silhouette recroquevillée.

– … caché les marchandises que tu as dérobé, vermine?

– Et qui sont tes complices? Le second garde ponctua sa question d’un coup de crosse. Ce qui arracha un gémissement au présumé coupable.

Zylves aurait pu passer son chemin, il n’était sûrement pas là pour attirer l’attention. Mais les procédures d’interrogatoire des sardaukars ne collaient pas avec les agissement de ces deux brutes. Son père et ses tuteurs l’avaient élevé dans le respect des valeurs martiales. Il s’était juré de toujours les respecter, quelles que soient les tâches que le Vicomte lui confierait. Il s’approcha.

– Pardonnez moi de vous interrompre!

Le sardaukar armé sursauta et se retourna à moitié. L’odeur de bière d’épice qu’il dégageait était presque palpable.

– Toi tu viens de faire une erreur fatale.

Sa main serra le manche de son laser.

– Vous croyez? Tout le monde fait des erreurs pourtant.

En prononçant ces paroles, et tout en songeant bizarrement au fils du seigneur Lithanian, il déploya d’un mouvement sec la griffe de poignet qui était cachée sous sa manche, avant de lacérer le dos du premier garde qui s’écroula en se convulsant.

– Poison ! cracha l’autre qui était déjà sur la défensive, son épée à la main.

Zylves réprouvait l’usage de la griffe lors des duels, mais il était face aux redoutables soldats impériaux. Le second sardaukar chargea. Le maître d’armes se laissa tomber en arrière et enfonça sa botte dans la poitrine de son adversaire qui se jetait sur lui. Le garde souffla sous l’impact, et Thira en profita pour lui trancher la gorge avec sa griffe. Il se releva après avoir poussé le cadavre et se tourna vers leur victime.

– Tu peux te lever? demanda-t-il d’un ton calme. Et c’est un enfant qui tourna son visage vers lui. Une fillette aux yeux d’un bleu étincelant.

– Vous m’avez sauvé. Ma vie vous appartient.

Passé le premier moment d’étonnement, Zylves demanda :

– Tu es née sur cette planète?

– Oui.

– Et ta famille, où est-elle?

– Je n’ai plus personne. Elle baissa la tête. Tous les miens étaient autour de la moissonneuse engloutie la semaine dernière par le Grand-Père du Désert.

– Le Grand-Père?

– Le plus gros des vers, un monstre ou un démon.

– Tu l’as vu?

– Oui, j’étais pas loin.

– Et tu connais le désert?

– Du bassin impérial au Mesa Molle.

L’envoyé de Lithanian sourit alors et répondit sur un ton plus cynique qu’il ne l’aurait voulu.

– Alors ta vie sauve va peut-être me servir à quelque chose.

Le lendemain il volait au dessus du désert dans un ornithoptère acheté à prix d’or à un marchand de matériel d’Arrakeen. La luminosité lui faisait froncer les sourcils malgré les vitres à teinte auto-adaptable de l’orni. Sa jeune copilote était manifestement ébahie par le spectacle défilant à grande vitesse sous eux.

Dès le début de voyage il avait organisé un faux crash pour faire croire à leur disparition dans le désert profond, grâce à une épave qu’il avait obtenue pour un ridicule supplément. A présent ils se dirigeaient vers la zone que Zylves projetait d’explorer en priorité, sous l’Erg Mineur.

L’orni débordait de matériel et de provisions. Le maître d’armes était déterminé à ce que ce voyage porte ses fruits.

Après plusieurs heures passée dans le vrombissement des ailes de l’appareil, entrecoupé des directives de la jeune fille, ils se posèrent sur un terre-plein rocheux. Il avait allégé ses vêtements au maximum, pourtant la chaleur l’oppressait toujours. L’odeur de l’épice, charriée par les vents du désert imprégnait tout.

Ce fut la fillette qui prit la parole en premier :

– Ces falaises sont percées de grottes, certaines d’une taille très importante, dit-elle en désignant l’est.

– Très bien, répondit laconiquement Zylves.

Pendant un moment il resta au soleil, à contempler l’horizon. Le panorama était aussi pur que l’acier d’une lame de maître. Pour la première fois, la grandeur intrinsèque à cette planète, considérée dans tout l’Imperium comme un caillou aride, le frappa au plus profond.

– Ne restez pas en plein soleil. Venez.

Elle le tirait par le manteau. Il n’aurait su dire depuis combien de temps elle insistait de la sorte.

Équipé de simple brilleurs et de matériel de sondage, ils parcoururent des heures durant les roches et les grottes. Zylves avait besoin d’une zone discrète mais de taille conséquente, d’accès aisé mais facilement camouflable. Horah, ainsi qu’elle disait se nommer, ne cessait de l’abreuver de recommandations sur la façon d’escalader telle pierre, d’éviter telle crevasse. Il devait bien admettre que ses conseils, pour superflus qu’ils étaient parfois, ne semblaient pas moins avisés. Trois fois ils durent retourner à l’orni. À la troisième, Horah lui conseilla de se poser plus près de l’amas rocheux suivant. L’enfant lui indiqua un endroit où atterrir et le pressa de se hâter.

– Pourquoi un tel empressement?

– Une tempête va venir.

Zylves ne voyait rien d’alarmant dans le ciel. Pourtant dans les minutes qui suivirent ils durent se réfugier à l’abri du vent chargé de sable. Le maître d’armes pria un instant pour que l’ornithoptère ne soit pas endommagé par les éléments. Puis le brilleur lui échappa et roula dans une crevasse. Il jura. Horah sourit en le regardant s’aplatir à la poursuite de leur source de lumière. Le brilleur était tombé dans une sorte de cathédrale minérale d’une taille impressionnante. On eut dit que la montagne était creuse. Et Zylves se tenait sur cet espèce de surplomb qui dominait la salle, séparé de l’extérieur par un mur crevassé.

– Ça va? appela la voix de la jeune fille de l’autre coté de la cloison.

– Le brilleur est tombé, je descends le récupérer.

– J’arrive. Elle se glissa par la fente bien plus facilement que Zylves, et lui adressa un sourire triomphant.

Il utilisa un filin pour se laisser descendre dans la grotte, elle le suivit. Une fois au fond, il ramassa le brilleur et l’éleva le plus haut possible. Un sifflement lui échappa. C’était un espace immense, et sur tout le pourtour de la structure principale se greffaient des couloirs et des salles plus petites. Déjà dans son esprit se mettaient en place les coups de laser a donner et les endroits à consolider.

– Hé bien, dit-il, je crois que nous avons trouvé ce que nous cherchions.

De retour à Arrakeen, Zylves se posa hors de portée des miradors, camoufla l’appareil et rentra dans la ville à pied, toujours flanqué d’Horah. Il rassembla ses hommes de contact, et tout ceux qui lui avaient été recommandés. Il établit avec eux des plans de transport, et organisa leurs disparitions. En quelques jours, les premiers éléments de matériels lourds furent acheminés à la grotte. Il soudoya des fonctionnaires, paya les marchands, et organisa un approvisionnement par navettes, en profitant de l’absence de couverture satellite de la planète.

En un mois à peine la phase d’installation fut pratiquement achevée. Le jour de leur installation définitive, il resta longtemps debout dans une anfractuosité du rocher surplombant l’entrée de sa nouvelle base. Il regardait les hommes qu’il avait rassemblés. Il les payait une fortune pour leur fidélité, mais bientôt, selon les promesses du Vicomte, leur activité allait pouvoir démarrer. Alors, il le sentait, il n’aurait plus besoin des solaris pour les maintenir ensemble.

Horah se tenait près de lui, et là, dans les éclats de voix et les bruits de moteurs, il se demanda pourquoi il ne l’avait pas libérée. Il la regarda et il sut qu’elle aurait refusé de partir. Il descendit vers la petite salle taillée dans les grottes annexes où il avait installé ses quartiers, et rédigea son premier rapport.

Le dernier avant longtemps.


<< chapitre 09 || FIN >>



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Le Peuple de Dune (09)


Les émotions sont faiblesses.

Mal contrôlées, elles nous trahissent.

Toujours.

— Coda Bene Gesserit.


Contrairement aux autres acolytes, Mira avait été installée dans une chambre à l’écart des dortoirs habituels. Seules quelques rares jeunes filles avaient ce privilège; souvent celles qui étaient sélectionnées pour une éducation spéciale et de haute importance. Cela faisait plus de deux mois maintenant que Mira s’était vue attribuer cette distinction, pourtant personne ne lui en avait dévoilé les raisons et son éducation se poursuivait normalement.

Regardant le soleil aux couleurs de l’aube s’élever lentement dans le ciel limpide de Wallach IX, elle se demandait quel destin les Sœurs lui avaient réservé. En un mouvement furtif, Mira se retourna en fixant la porte de sa chambre qui s’ouvrit dans un faible grincement.

– Je vois que tu as su contrôler ton ouïe avec assez de précision pour m’entendre arriver alors que je ne t’avais signalé aucune heure de rendez-vous, complimenta Odyle. A quoi pensais-tu à l’instant?

Embarrassée par cette intrusion aussi facile dans ses pensées, Mira baissa légèrement la tête avant de se reprendre et de déclarer d?un ton neutre mais tout aussi franc qu’Odyle en la regardant droit dans les yeux:
– Qu’attendez-vous de moi?

Cette réplique glaça Odyle. Elle s’essaye à la Voix. Elle laissa paraître un trait de colère et de satisfaction à la fois. Ayant aperçu cette faille, Mira continua:

– Je sais que la Mère Supérieure vous a nommée Rectrice à la place de mon ancienne enseignante dans un but précis. Vous m’avez offert cette chambre à l’étage des acolytes privilégiées. Pourquoi? Vous en connaissez les raisons, Révérende Mère, pourquoi me cacher ce qui m’est destiné alors que les autres…

– Assez ! Gronda Odyle en utilisant à son tour la Voix avec une grande intensité, et en foudroyant Mira du regard, comme si elle venait de profaner le bien le plus précieux de tout l’Imperium. Ces questions ne peuvent avoir de réponse, il est trop tôt.

Mira quant à elle, était restée muette et pétrifiée.

– Ces mystères te seront dévoilés bien assez tôt. Cela risquerait d’entraver ton éducation si tu en savais trop avant l’heure.

– Alors quand pourrais-je savoir?

– Je ne peux te répondre, tu le découvriras par toi-même lorsque tu auras rassemblé les pièces du puzzle.

– Mais…

– Cette discussion est close! Si je suis venue à cette heure aussi matinale, c’est parce que notre Mère Supérieure veut que tu sois informée d’une affaire de la plus haute importance pour notre communauté et cela en privé. Personne ne doit savoir. Peut-être te donnera-t-elle justement quelques pistes sur ton rôle. Maintenant suis-moi et ne dis plus un mot.

Mira, encore sous le choc, se posait de plus en plus de questions tandis qu’elle suivait Odyle à travers les couloirs de l’école mère.

Une affaire de la plus haute importance? et secrète? S’agirait-il d’une mission à me confier? Non, Odyle me l’aurait dit. Ce ne pouvait être qu’un secret dont seules certaines sœurs doivent connaître l’existence. Mais pourquoi? Et surtout pourquoi moi? Serait-ce à propos de notre bouclier planétaire? Il ne fonctionne probablement plus et pour ne pas affoler les acolytes, Thralia nous a annoncé que sa rénovation avait été effectuée avec succès. Mais qu’ai-je en rapport avec cette situation?

Fière d’avoir probablement deviné de quoi devait traiter ce rendez-vous, elle entra dans le bureau de Thralia, suivie d’Odyle qui alla directement se placer à la droite de la Mère Supérieure, en tant que sa fidèle conseillère.

– Te voici donc ma chère Mira. Je t’en prie, installe-toi, l’invita Thralia en lui indiquant le siège devant son bureau.

Mira s’assit, un peu déstabilisée par tant d’affabilité de la part de la femme la plus importante et la plus respectée de toutes les Bene Gesserit. Thralia l’observa l’espace d’une fraction de seconde. Cette jeune fille de dix-sept ans aux traits fins et à l’allure pleine de grâce avait de longs cheveux d’ébène et en ses yeux, clairs comme l’eau jaillissant d’une source, la Mère Supérieure retrouvait la détermination et l’intelligence de cette acolyte tel qu’elle l’avait remarqué la première fois que leurs regards s’étaient croisés.

Elle n’était pourtant issue d’aucune branche du programme génétique que le Bene Gesserit expérimentait un peu partout dans l’Univers Connu, et la Mère Supérieure se dit soudain que la lignée de cette jeune fille devrait être contrôlée. Elle venait de Gallatine, une planète sans histoires gouvernée par la Maison Atreides, dont les ancêtres avaient régné 2500 années standards plus tôt, mais dont nul n’entendait parler depuis.

– Dis-moi, que peux-tu me dire sur les Atreides?

– Le Comte Atreus Atreides a pris le pouvoir en 4552 grâce aux sardaukars et s’est proclamé Empereur, puis sa famille a…

– Je connais l’histoire ancienne mieux que toi! coupa Thralia, je te demande seulement ce que tu sais de la famille de l’actuel Siridar de Gallatine.

Mira prit un air désolé.

– Mais rien, Mère Supérieure! Je n’y ai passé que les trois premières années de ma vie, j’ignore…

– Penses-tu être toi-même une Atréides ?

– Je suis certaine que non. D’après ce que je sais, mes parents étaient pêcheurs…

– Très bien, ce n’est pas grave, lorsque tu seras Révérende Mère, ce que je souhaite, tu auras la possibilité de tout savoir sur tes ancêtres. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle je voulais te parler. As-tu la moindre idée du sujet de cette convocation?

– A vrai dire? je m’en doute, Mère Supérieure. Je pense qu’il doit s’agir de notre bouclier planétaire, qui aurait dû être en place il y a plus de deux mois déjà.

Odyle et Thralia ne purent s’empêcher de sourire à cette réponse, ce qui vexa un peu Mira.

– Non, je ne vous ai pas menti en affirmant que le bouclier avait été réactivé comme prévu. L’affaire qui nous concerne est bien plus importante encore que la seule défense que nous possédons sur notre planète mère. Il s’agit de la Missionara Protectiva. Que sais-tu à ce sujet Mira?

– Rien de plus que ce que m’a enseigné Odyle. C’est une mission très ancienne qui consiste à préparer les différents peuples à la venue du Kwisatz Haderach, le Court Chemin, ou au moins au bon accueil du Bene Gesserit sur leurs planètes. Personne mises à part les concernées n’en connaît les plans précis et quelles sont les sœurs chargées de cette mission, mais il est possible de reconnaître les signes de cette préparation pour chacune d’entre nous.

– Tu es une fille bornée et bien trop curieuse pour une Bene Gesserit, mais tu apprends vite. Cela pourra t’être utile en bien des circonstances. Il est maintenant temps pour toi de découvrir véritablement comment fonctionne le Bene Gesserit, et ses implications au sein de l’Imperium. C’est pourquoi à dater de ce jour tu examineras les rapports de notre envoyée sur une planète-clé, Arrakis, chargée d’y implanter quelques légendes sur notre court chemin. C’est en ce moment Odyle qui s’en charge, elle et toi effectuerez ce travail ensemble jusqu’à ce que tu en aies assez appris pour être autonome. Qu’en dis-tu ?

– C’est… un honneur, Mère Supérieure. Elle s’inclina.

– Odyle, j’ai à vous aussi une chose importante à confier. J’ai maintenant 214 ans et je me sens lasse…

– Mère Supérieure je ne pense pas que vous devriez? commença Odyle en regardant Mira.

– Bien sûr que si! Mira sait très bien que ceci ne doit pas sortir de ces murs et il faut la considérer comme plus qu’une simple acolyte désormais, en dehors de son éducation habituelle. Son rôle risque d’être capital, plus tard. Vous le savez aussi bien que moi Odyle; la fin de mes jours est proche. Vous avez été ma meilleure conseillère et confidente jusqu?à maintenant, et vous êtes une Révérende Mère d’une qualité rare. C’est vous qui me remplacerez lorsque je ne serai plus.

Thralia fit une courte pause, le temps que ses paroles soient acceptées dans l?esprit d’Odyle et de Mira. Cette dernière arrivait cette fois à cacher l’émotion qui la submergeait pourtant.

Tant de révélations de grande importance en si peu de temps? se dit-elle, elle a pourtant facilement accepté sa première mission au sein de la communauté.

Odyle, elle, ne voulait pas croire en la mort si proche de la Mère Supérieure. Elle savait depuis quelques temps que Thralia l’avait choisie comme son héritière en titre, mais elle n’avait pas accepté de reconnaître l’évidence de sa fin. Elle dut utiliser toutes ses capacités pour se contenir et afficher une expression neutre en attendant que Thralia reprenne.

– Vous serez Mère Supérieure mais resterez la rectrice de Mira. Vous en connaissez déjà les raisons. Les autres conseillères en seront averties en temps voulu. Je ne vous les impose pas, vous pourrez choisir vos propres conseillères. Songez-y car le moment est proche.

Lorsqu’Odyle et Mira quittèrent le bureau, Thralia poursuivit ses tâches quotidiennes tout en se disant qu?elle pouvait maintenant attendre la mort avec sérénité. Elle plaçait tous ses espoirs en ces deux femmes, en particulier Mira qui devrait conduire le Bene Gesserit à une puissance à travers l’Imperium que la communauté n?avait encore jamais connue, et elle avait confiance en elle.


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Le Peuple de Dune (08)


Kuntu saghidan fi shababi :

un oiseau tenu dans ta main

vaut mieux que deux vus dans l’arbuste

(ancien proverbe zensunni)

— Qur’aan al-nahw, Ibin Manzuur.


Des sites de récolte et d’habitations supplémentaires étaient créés et développés à un rythme impressionnant, à mesure que les immigrants étaient formés, puis affectés. Peu à peu, tout le périmètre de l’immense vallée menant d’Arrakeen à Carhag fut occupé. Deux mois à ce rythme, et Toryn et les Entio au grand complet (du moins ce qu’il en restait) se retrouvèrent dans le bassin de Hagga. Ils avaient été logés dans des baraquements rafraîchis à l’occasion, à la sortie d’Absont, petite ville au nord-ouest de Carthag.

Les conditions de travail étaient honnêtes, comparées à celles des mines de Rossak, mais le climat décimait à un rythme affolant les Zensunni Rossaki. Trois mille étaient morts déjà, soit presque vingt pour cent des élus qui avaient embarqué pour Arrakis deux mois plus tôt, porteurs d’espoir de ce peuple qui avait déjà tant souffert sur Rossak ; et leurs ancêtres avant sur Bela Tegeuse. Toryn savait que les Ishiai avaient essuyé des pertes également, mais moindres. Jacur lui avait fait parvenir un message dans lequel il évoquait sept cents morts, sur quatre-vingt mille ressortissants d’Ishia, soit même pas un pour cent.Même si la latitude d’Absont offrait des températures plus clémentes, cette région n’était pas protégée des plus grosses tempêtes comme c’était le cas à Arrakeen cernée par de hautes falaises. Ici le vent du sud avait toute la place de se déployer, avec en plus la vallée comme rampe de lancement.

Le naib se sentait impuissant, et son autorité commençait à être menacée. Il comptait sur la volonté et la résistance légendaire de son peuple, le Misr, et sur la relative liberté qui s’ouvrait à eux. Il ne nous manque plus qu’à nous installer quelque part, à l’abri du soleil, des tempêtes et de ces monstres tout droit sortis d’un conte de la planète Ishkal. Il nous faut trouver aussi un moyen d’économiser l’eau.

Le savant des Entio, Khoren, ami fidèle parmi ses amis, lui avait dit que le corps de tout être vivant recelait de grandes quantités d’eau, et qu’il avait déjà l’idée d’un système spécial pour la récupérer. Il avait commencé à y travailler un mois auparavant, mais des agents de la Guilde avait « réquisitionné » le scientifique à leur service. Lui seul était au courant de ce petit arrangement qui leur permettait plus de liberté de mouvement. C’est Khoren qui avait insisté pour que Toryn accepte, il avait apparemment une idée derrière la tête.

Mais Khoren ne revenait pas, et des Zensunni continuaient à mourir.

Quel gâchis, dans ce cas! Je ne peux pas interdire à mon peuple de suer par cette chaleur! En revanche, ces vers sont bien des êtres vivants. Si nous trouvions le moyen d’en attraper un…

Le vent se levait et apportait du sable, soulevé probablement à des jours de marche, qui allait se déposer en partie ici. Ceux d’Ishia connaissaient ce phénomène et l’avait appelé el-sayal, pluie de sable. Les autochtones, principalement des exilés volontaires pour le compte de l’Empire, se dirigeaient tous vers le centre d’Absont. Une tempête était annoncée.
Il suivit le mouvement et reconnut la grande et fine silhouette de Hadik, un jeune homme fougueux dont le père lui avait sauvé la vie sur Rossak en perdant la sienne. Il avait fait le serment devant Abnan de le traiter comme son fils. Le vent commençait à projeter du sable sur les visages, et les capuches recouvraient à présent toutes les têtes. Hadik cheminait aux côtés d’une femme à la démarche grâcieuse et mesurée à la fois. Petite, mais athlétique. Avant même de l’avoir dévisagée, Toryn sut qu’elle n’était ni de son clan, ni d’ici.

Il se rejoignirent.

– Hadik! où sont ta mère et tes frères?

– Déjà à l’abri. Nous y allons aussi. Voici Marge, une jeune sayyadina d’Ishia, elle a décidé de nous suivre depuis Carthag.

Toryn inclina la tête, en même temps que la femme.

– Et pourquoi ça?

– Heu, en fait je lui ai proposé.

– Je vois. Jacur ne m’a pas parlé d’une sayyadina du nom de Marge.

– Je ne connais pas Jacur, répondit Marge, nous n’étions pas sur le même hémisphère d’Ishia. De plus, lors du rassemblement préalable au départ, je n’avais pas signalé que j’étais sayyadina. Hadik m’a dit que vous n’en aviez plus qu’une qui, de plus, souffre de déshydratation.

– C’est vrai, mais Hayami va tenir le coup.

Après un silence, il ajouta: Soyez tout de même la bienvenue parmi nous.

Avec la tempête, la nuit sembla tomber plus tôt ce jour-là. C’était la fin du deuxième jour de travail sur le site de Hagga pour les Zensunni, et la population locale semblait déjà inquiète de cette invasion. Marge, accueillie par la famille de Hadik, fit sa petite enquête en questionnant sa mère et ses soeurs ou quelques femmes aux files de rationnement, et comprit très vite le problème : les Zensunni avaient droit à une ration d’eau quotidienne par personne, alors que les populations de volontaires rapatriés par l’Imperium étaient soumises à un autre régime et ne disposaient que de rations forfaitaires familiales, proportionnelles aux membres actifs. Elle qui était passée d’une communauté à l’autre aurait pu le remarquer si elle était venue en famille et non seule. Cette inégalité de revenus exaspérait les autochtones, pourtant très pacifiques par ailleurs.

A une heure avancée de la nuit, Marge constata l’accalmie des éléments et décida de faire un tour à l’extérieur avant de dormir. Les rues avaient été littéralement nettoyées par le vent, mais les tentes en dur, conçues pour résister à des tempêtes de ce genre, avaient toutes tenu bon. Elle déambula au hasard, jusqu’aux quartiers résidentiels où le plastabéton dominait au détriment des étendues de sable de la périphérie.

Je suis suivie.

Elle tourna dans une petite rue ou l’odeur omniprésente de l’épice était dominée par celle de déchets et d’excréments, puis se fondit dans l’ombre d’un renfoncement mural. Elle distingua l’homme encapuchonné à la clarté des deux lunes et avec une rapidité imparable, elle fut sur lui avant qu’il n’eut le temps de réagir, lui tordant un bras d’une main et lui pressant en même temps deux points douloureux au cou dont un, en accord avec l’art du prana-bindu, était mortel en cas de pression plus forte. L’homme était si grand, qu’elle devait se tenir sur la pointe des pieds. Elle affirma la pression pour le forcer à s’accroupir.

– Qui es-tu, et pourquoi tu me suis’ Répond, ou meurs!

Kull wahad! Marge, c’est moi Hadik. Lache-moi!

– Hadik? Je ne te lâcherai que lorsque tu m’auras répondu.

– Toryn… Toryn m’a demandé de te surveiller. Il est sûr que tu n’es pas celle que tu prétends être.

– C’est tout?

– Oui, tu peux me tuer à présent, femme, je suis un homme à ta merci!

– Moi mettre fin à ta vie? Et si je t’offrais la vie sauve?

Halal hu! Kull mansuj manfud!

C’est la loi, Tout tissage à une fin, traduisit mentalement Marge. Me teste-t-il sur mes connaissances alors même qu’il risque la mort?

Man yuta-shi wa-yaba-h yatlub wa-lis yuta’h, dit-elle avec un parfait accent ishiai, ce qui signifiait « celui qui refuse ce qu’on lui offre sera banni et ne se verra plus rien offrir ».

Elle le lâcha.

– Je t’offre la vie. Je ne te demande pas d’être mon maula, juste de m’accepter, de me faire accepter et de ne pas me questionner. Je veux aussi rencontrer votre sayyadina.

Plus tard, en rentrant à leur tente, Marge questionna Hadik sur les tensions entre les ouvriers de l’Empire et ceux de la Guilde.

– Notre naib s’en est aperçu avant même notre départ d’Arrakeen, dit-il, il en a parlé à Jacur et lui a proposé de faire une requête sous forme de doléance à Edric, l’agent de la Guilde, pour qu’il règle la question en haut-lieu, avec le Siridar d’Arrakis, en alignant les rétributions des Zensunni sur celle des autochtones.

– Très généreux de la part de Toryn. Trop, peut-être.

– Jacur a refusé.

– Il a refusé’ Pourtant les Ishiai souffrent moins de déshydratation que les Rossaki.

– Jacur a dit que ce contrat était déjà un minimum vital et que son peuple refuserait de céder cet acquis. Il a ajouté que c’est aux services de l’Empire de s’aligner sur le mode de rétribution de la Guilde.

– Et toi, qu’en pense-tu?

– Je crois que Jacur a raison. Mais ce n’est pas tout. Toryn est persuadé que quelqu’un fait en sorte que ces tensions montent, pour attiser la haine entre les deux clans.

– Il a des preuves, ou au moins des présomptions?

– Je l’ignore.

– C’est une théorie très probable, en tous cas. Mais je ne suis pas ce quelqu’un.

Ils étaient arrivés à la tente. Avant d’entrer et de se séparer, Hadik ajouta en murmurant :

– Marge… Même si nous ne connaissons pas exactement les mêmes usages que sur Ishiai, je doute, moi aussi, que tu sois une simple sayyadina.

– Pas de question!

Elle le fixa un instant en silence dans les yeux, avant d’ajouter:

– J’en étais une, mais j’ai eu la chance de beaucoup voyager, contrairement au reste de mon peuple. Nul ne doit savoir.
 


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Le Peuple de Dune (07)


Le destin est écrit dans le vent

Et personne ne peut prévoir

Quand le vent va changer.

— Grand livre de la sagesse perdue.


Les rayons jaunâtres du second soleil descendaient lentement à l’horizon. Le soir tombait sur le domaine de la maison mineure Lithanian. Une planète secondaire, terres de chasse, et vivant du commerce de l’ivoire Bochan, prisé dans des millions de mondes par les artisans et les nobles pour son élégance et son contact. Zylves traversait rapidement l’atrium de la demeure ancestrale des Lithanian. Sans le moindre regard pour le bassin où nageaient des poissons exotiques, ni pour les statues de marbre des illustres ancêtres familiaux.

Il avait revêtu à la hâte son uniforme noir aux coutures dorées, paré des seuls insignes de la Maison, un tigre Bochan doré en position d’attaque. Son regard bleu trahissait son irritation. Les convocations inopinées du Vicomte se faisaient de plus en plus fréquentes. Comme si l’opinion de son maître d’arme pouvait être importante pour ce serpent imbu de lui même. Il se pressa devant la porte de la grande salle d’audience, et deux gardes en livrée se mirent au garde à vous avant de lui ouvrir la double porte.

Il lui fallut encore quelques pas pour atteindre le centre de la salle en marbre vert, où se tenaient les trônes du Vicomte et de son fils. Les deux hommes avaient les cheveux du même blond et les yeux du même vert. La ressemblance s’arrêtait la. Le vicomte avait les traits anguleux et durs, un nez crochu et un regard perçant. Son fils, Ildar, du haut de ses vingt ans arborait le visage doux de sa mère, affichant en permanence un air blasé, sous ses longs cheveux.

Toutes les tentatives de son père pour l’inciter à s’investir dans la politique de sa maison s’étaient soldées aux mieux par des demi-échecs. Le jeune héritier ne faisait pas mystère de son hostilité envers les velléités grandiloquentes de son géniteur. Le vicomte Aziel Lithanian congédia son chambellan d’un geste rapide de la main, puis toisa son maître d’armes qui le saluait respectueusement. Quand ce dernier releva la tête il lança de sa voix cassante :

– Zylves Thira, nous avons à vous confier une mission qui vous changera de l’entraînement de notre brillante garnison.

– Je vous écoute mon seigneur, répondit-il en espérant que son ton contenait suffisamment de soumission pour plaire au Vicomte.

– Depuis des mois nous envoyons de dévoués travailleurs au service de l’empereur sur ce bout de roche couvert de sable… comment? …

– Arrakis, père, intervint Ildar.

– Arrakis. Et ces hommes nous ont fait parvenir divers rapports sur la situation là bas. Nous y avons vu pour notre maison une opportunité sans précédent.

– Sans précédent? Vraiment père? Il me semble avoir entendu la même chose lors de la révolte sur Wallach? Coupa son fils.

Le vicomte se tourna vers lui et lui asséna une gifle retentissante avant de revenir dans sa position initiale. Ça recommence, pensa Zylves, pourquoi doit-il toujours faire étalage de sa discipline familiale? Il ne sortira à nouveau rien de cet entrevue.

– L’épice, reprit le maître de la maison Lithanian, l’Empereur et la Guilde se la disputent comme des chiens pour un os.

Zylves s’imagina un instant se lancer à l’assaut des légions de sardaukars stationnées sur Arrakis, à cause d’un délire de son vicomte. Il réprima un frisson.

– L’exploitation de la planète est essentielle pour l’Imperium. Imaginez un instant que le Landsraad décide que l’Empereur n’est pas à même d’assurer le flot de l’épice. À coup-sûr son monopole d’exploitation serait démantelé au profit de maisons compétentes.

– Et bien sûr il est évident que notre maison tellement douée dans la production de manches de sabres en ivoire sera la première à se voir attribuer une mission d’extraction, dit Ildar, sur son habituel ton sarcastique.

Une seconde gifle claqua dans le silence de la salle d’audience. Quand le Vicomte reprit la parole, sa voix était froide et tranchante.

– Vous allez vous rendre sur Arrakis pour organiser une exploitation irrégulière où vous commercialiserez l’épice, et ce le plus discrètement, cela va sans dire.
– Moi mon seigneur, répondit Zylves interloqué, un contrebandier? Mais, qu’adviendra-t-il de mes tâches courantes?

– L’entraînement de nos troupes sera confié aux officiers, et les ressources que nous apporteront votre mission nous permettront de pallier autrement à votre absence.
L’idée du vicomte Lithanian commençait à faire jour dans l’esprit du maître d’armes?

– Mais les stocks d’épice sont interdits par la loi impériale?

– Il ne sera pas question de le stocker, mon cher, répondit laconiquement le vieil homme perché sur son trône avec un sourire.

À nouveau on ne lui confiait rien des plans. La philosophie de la maison était clairement «moins on en sait, moins on risque de parler». D’une certaine façon, l’idée de devoir devenir illégalement un prospecteur de mélange l’horrifiait encore plus que de combattre les Sardaukars. Mais il était le maître d’armes de la maison Lithanian depuis des années déjà, malgré sa jeunesse relative. Et les paroles du Vicomte faisaient loi.

– Vous trouverez dans vos quartiers toutes les informations dont vous aurez besoin. Installez sur Arrakis une base discrète, et vos premiers clients vous trouveront d’eux même. Vous avez six mois standard, et tous les crédits qui vous seront nécessaires.

– Mais?

– Le transporteur de la guilde arrivera en orbite demain, coupa Aziel, votre navette décolle à l’aube. Vous pouvez disposer.

Zylves déglutit péniblement, salua, puis tourna les talons et se dirigea vers la sortie.

– Et bonne chance, lança la voix moqueuse de l’héritier dont la joue n’avait même pas rougi.

Le lendemain matin, il serrait dans sa main gauche son seul bagage, en attendant l’arrivée de la navette de transit. Il avait passé la nuit à compulser les données mises à sa disposition, et il mettrait la durée du voyage à profit pour faire de même. Les relevés météo l’avaient particulièrement désespéré. Aussi il goûtait une dernière fois au vent frais chargé du parfum des forêts. Les pans de son simple manteau noir dépourvu de signe distinctif voletèrent autour de lui quand la navette atterri à quelques pas. Résolu, il embarqua, s’installa a coté d’un gros négociant d’ivoire et fit signe au pilote qu’il était le seul passager à embarquer ici. Les suspenseurs de la navette se remirent en route, faisant gémir la carlingue, puis les propulseurs s’allumèrent.

Il y eut encore quelques arrêts avant que le pilote n’annonce enfin qu’ils allaient gagner le transporteur de la Guilde. La navette s’engagea dans un cargo qui lui même s’amarra dans un des titanesque dock du long-courrier. Zylves ne pouvait pas se départir d’une désagréable sensation de gigogne. Il quitta rapidement la navette pour s’installer dans une des salles privées mise à la disposition des passagers aisés du cargo, et se replongea dans ses documents codés. Il ne sentit même pas l’imposant vaisseau se mettre en mouvement. Il s’efforçait juste de ne pas penser à ce qu’il laissait derrière lui.

Il consulta les plans sommaires et les listes de noms, s’intéressa aux nomades Zensunni, lut et relut les protocoles de rationnement de l’eau et surtout les rapports sur les modes d’extraction. Un shéma d’organisation commençait à poindre dans ses pensées, il avait besoin d’une poignée d’hommes, de matériel, et surtout d’une cachette.

Le voyage dura plusieurs jours en raison des nombreuses escales du long courrier. Quand il pu contempler Arrakis par la baie de transparacier de sa cabine, il cherchait futilement un nom à la bande qu’il allait devoir créer.

 


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