« Je fus particulièrement touché par la forme avec laquelle il [Peter Israel, le président de la maison d’édition Putnam] me signifia que j’étais le seul académicien en lequel Herbert avait le plus de confiance pour un tel projet » 1
Pour nombre de fans, il est presque inutile de présenter la ‘Dune Encyclopedia‘ ce recueil qui demeure – comme présenté sur la couverture de l’édition originale US – ‘le compagnon et guide complet et autorisé du chef-d’œuvre de Frank Herbert’. Pour d’autres, cela sera l’occasion de découvrir un ouvrage alternatif et complémentaire dont la seule mais magistrale tare est de n’avoir jamais été publié en français. Mais pour tous, ce billet sera l’opportunité de se pencher sur les motivations et origines de cette entreprise particulière.
Le projet, qui consiste en la création d’une encyclopédie portant sur le ‘dunivers’ tel que décrit dans les romans de Frank Herbert, est mené par un homme, un universitaire épris de SF et de littérature anglaise, le Dr. Willis E. McNelly. Sans rentrer dans la discussion qui traite de la canonicité de cet opus par rapport au cycle de Dune, il peut être instructif et révélateur de se pencher sur la fabrication de ce corpus textuel.
Pour cela, il existe une source de textes rédigés par l’émérite lui-même dont une reproduction est consultable sur son site 2. Parmi les extraits (textuels et graphiques) de la ‘Dune Encyclopedia‘ se trouvent divers articles en rapport avec l’universitaire ou l’auteur dont deux 3 retiendront l’attention en ce qui concerne le propos de ce billet.
De manière intéressante, le Dr. Willis E. McNelly ne donne pas à la lecture l’impression d’avoir conduit une mission à la façon d’un geek illuminé et fanatisé débordant d’émotions et de bonnes intentions mais adopte une ligne épurée et rationnelle quant à la restitution de son entreprise. Assez loin du cliché de la bande potes qui se retrouvent dans le garage au soir pour concocter en semble un pot-pourri pour les fans, par des fans; la description qu’il en donne à de quoi en retoquer plus d’un sur comment gérer de manière aussi engagée et sérieuse un projet, aussi geeky soit-il. Et si tous les détails ne sont pas livrés, ceux sur lesquels il s’arrêtent en font transpirer le sérieux.
Le point de départ de cette idée trouve son terreau dans une œuvre tout autre 4, mais c’est avec Dune qu’il va la concrétiser. Et le Dr. – même s’il avoue avoir peut-être à un moment donné avoir été un tantinet trop naïf – n’est pas homme à mettre la charrue avant les bœufs! Par un moyen malheureusement non explicité, il parvient à vendre à la maison d’édition de Dune et à Frank Herbert son concept et décroche un contrat pour le réaliser – et la question pécuniaire n’est pas laissée de côté: s’il ne trahit quelque gain sur la vente du projet, l’avance totale qu’il reçut pour la réalisation, en temps, d’une encyclopédie qui couvrirait la trilogie ainsi que le le quatrième opus alors qu’il était encore en rédaction atteignait les confortables 20.000 US$ 5.
Publié en 1984, les travaux sur la constitution du recueil débutèrent en 1979 et l’Empereur-dieu de Dune sortit en 1981.
Le Dr. Willis E. McNelly s’emploie alors à débaucher dans le corps professoral universitaire de la côte Californienne les potentiels rédacteurs de la ‘Dune Encyclopedia‘ en proposant la rétribution alors alléchante de 4¢ par mots pour chaque article accepté. L’ouvrage étant conscrit à un volume de 250.000 mots en environ 250 articles, chacun pourra grâce à une simple multiplication réévaluer la valeur de l’exemplaire (aujourd’hui épuisé) qu »il tiendra entre ses mains.
«Bien que la plupart des contributeurs étaient des professeurs des universités et du supérieur qui vivaient aussi de leur publications, je considérais qu’ils méritaient un traitement de professionnel.» 6
L’entreprise prend un ton assurément professionnel, et les contributeurs sont considérés comme tels; d’ailleurs, tous universitaires, pour un tel travail, ne le sont-ils pas quelque part ?
Quelque peu léger dans la description de la logistique qui permit l’alignement des contributeurs non seulement dans la distribution des articles mais surtout dans celui celle des contenus pour éviter les contradictions grossières, des indices sont toutefois laissés par le directeur (et en fait seul détenteur de la licence de par le contrat) qui laissent deviner quel usage intensif il fut fait des 20.000 US$ d’avance en frais de photocopies, de postages et de télécommunications.
Dans le processus d’élaboration du contenu de la ‘Dune Encyclopedia’, Frank Herbert n’est pas de reste. S’il n’est pas directement impliqué dans la rédaction des articles – dont le Dr. Willis E. McNelly porte la charge de procéder à tous les ajustements nécessaires avec lui pour assurer la plus ample cohérence du recueil avec l’œuvre – il aide ce dernier à penser et à insérer l’ouvrage dans la chronologie et la dynamique du cycle, donnant ainsi les clefs, astucieusement résumées dans le texte introductif du recueil, qui permettent de littéralement désamorcer les risques de contradictions internes.
Il n’est pas dit qui a l’idée des personnages de Hadi Benotto et Rebeth Vreeb qui figurent tous deux à la fois en ouverture et clôture de l’Empereur-dieu de Dune mais aussi comme rédacteurs de l’encyclopédie, mais la synergie de son immersion dans l’univers de Dune est impressionnante. Car là aussi, réside l’un des points de départ et traits forts du concept: l’ouvrage ne doit pas faire référence à l’auteur réel de cet univers, il doit traiter par l’intérieur son aspect fictif – in universe.
« le ton des articles se devait être érudit, authentique et respectueux du présupposé que tout ce qui se trouvait dans les quatre premiers livres fut entièrement, totalement réel. » 7
L’élément central de l’opus, c’est le fait de devoir disserter sur le ‘dunivers’ en considérant tout ce qui a pu être au préalable écrit dans le cycle comme étant absolument véritable. Cela devient LA consigne de travail pour les rédacteurs qui devront se baser sur ce qu’ils seront priés de tenir pour des faits afin d’extrapoler de manière cohérente sur les articles.
Un exercice qui fut fort bien compris du premier rédacteur du premier article 8 dont la contribution fut alors envoyée à titre d’exemple et de source d’inspiration à tous les autres participants qui se seront laissés entrainer dans le jeu en faisant couler l’encre pompée dans une grande dose d’imagination sous leur plume rationnelle d’universitaires patentés.
Ayant le principal défaut d’être unilatéral et très parcellaire sur certains points qui demanderaient approfondissement car manquant de références croisées, cette plongée au cœur du projet offre néanmoins un point d’accroche sur la rédaction d’une œuvre qui reste incontournable dans la constituions du ‘dunivers’ ce malgré son status hybride dont la nature et portée furent – durant ces dix dernières années – constamment opposées, minorées et marginalisées par les contributions postérieures des auteurs des pré/inter/sé-quelles de Dune.
Comme un ‘easter egg‘ le Dr. Willis E. McNelly reconnaît honnêtement que son travail n’est pas exempt d’erreurs (mineures), et laisse le soin aux lecteurs de les dénicher.
1 «In a gesture that I much appreciated, he [Peter Israel, the president of Putnam’s] indicated that I was the only academician that Herbert would trust with such a project.»
2 | dr. / willis / e. / mcnelly | – t he / o f f i c i a l / s i t e |
3 textes Dune Encyclopedia (DE#2) et Dune Encyclopedia (DE#3)
4 la trilogie d’Helliconia publiée entre 1981 et 1985
5 et histoire de donner un poids aux valeurs: 20.000US$ en 1979 équivalent à environ 63.090US$ en 2012, ce qui au cours d’aujourd’hui de 1.33US$ pour 1€ représentent environ 47.360€ soit environ 2 ans et 9 mois de SMIC selon l’INSEE.
6 «Even if most of the contributors were university and college professors who wrote for a living, I knew they deserved professional payment.»
7 «The tone of the entries must be scholarly, authentic under the supposition that everything in the first four books was completely, totally real.»
8 Dr. Charles Povlovitch (a.k.a. C.A. P.) pour l’entrée Cheops (or « pyramid chess »)
Réjouissant rappel de l’aventure qui occupa le premier noyau de fans du Dunivers. Et quels fans ! De nos 42 contributeurs, on retiendra pour l’anecdote que quelque uns ont continué à se manifester pendant les premières heures du newsgroup altfan.dune (1992-…). J’ai l’intuition que le dépouillement des McNelly Papers à Fullerton nous donnera encore bien du grain à moudre 😉
Merci pour l’appréciation.
Sur la présence de « McNelly’s Papers » dans la section spéciale de Fullerton, d’après ce que j’ai compris de la réponse d’Omphalos sur la quasi-même question, il n’y en aurait aucun là-bas. Des documents retraçant la construction de la ‘Dune Encyclopedia‘, il semble que cela se limite à ce website. Ce qui est en soit bien peu et malheureux. Je pense que comprendre l’esprit et la méthode de cette entreprise sont en soi des éléments instructifs et constitutifs du ‘dunivers’.
Aussi, les documents n’existant qu’en langue anglaise, l’idée d’en faire une présentation permet de s’épargner temporairement de l’effort d’une traduction.
En substance, mon sentiment sur ces documents sont assez partagé dans la mesure où je suis à la fois resté légèrement sur ma faim et surpris. Certes je n’ai pas trouvé ce que je cherchais, mais je ne m’attendais pas à trouver ce type d’informations mais non plus. donc fifty-fifty à la fin 🙂
Salut !
Tu fais bien de remettre à l’esprit la réponse de Greg. Je voulais lui répondre sur ce point mais ça m’est complètement sorti de la tête.
Omphalos se trompe. Comme tout usager des archives de Fullerton, le seul accès qu’il a avec les papiers de Frank Herbert repose sur cet infâme petit « inventaire » d’une trentaine de pages que chacun peut se procurer sur le net. Je dis « infâme » parce qu’il n’y a pas d’autre mot pour qualifier cette insulte aux règles élémentaires de l’archivistique. Crois-moi, la plus pourrie des archives départementales offre un aperçu plus complet de ses ressources que ce torchon. Il n’y a même pas de côte d’article, les fonds Herbert & McNelly sont indifférenciés, la distinction minimale entre les donataires n’est pas faite, pffff …
Or il se trouve, chance pour nous, que le grand Halbert W. Hall (curateur de la collection SF de l’université Texas A&M ET créateur du SFFRD) a effectué en 2006 un grand dépouillement des archives SF sur tout le territoire des États-Unis. Grâce à ses contacts et son statut il a pu accéder aux magasins fermés au public. Tu trouveras le résultat de ses investigations ici :
Qu’apprend-on dans ce document ? Primo, on apprend que le fonds Herbert (ligne 205) est bien plus grand que ce que suggérait l’inventaire périmé : 122 boîtiers !!! J’ai compté les boîtiers de l’inventaire, ce n’est pas le même chiffre ^^
Quant à McNelly (ligne 279) pas moins de 22 boxes lui sont consacrées ! L’ancien inventaire, si mon souvenir est bon, ne comptabilisait guère plus de 2 ou 3 boîtiers. Ceci est le résultat du legs des héritiers McNelly après 2003.
Tu noteras par ailleurs que dans le document de Prometheus, McNelly indique lui-même qu’il a déposé (ou prévoit de déposer ?) les enregistrements audio avec Frank Herbert et les brouillons des articles (en particulier tous ceux qui ont été écartés de la publication).
…
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire et de le répéter à Omphalos, Dune Nerd & rakishoard, leurs excursions nous ont rapporté des montagnes de documents mais elles ne sont rien par rapport à ce que devrait pouvoir livrer un séjour de 15 jours ou 3 semaines. Un jour (très) prochain 🙂
Le lien que j’ai donné a sauté, j’ignore pouquoi. J’essaye encore une fois :
http://lawrencehost.com/aboutsf2/sites/default/files/MajorPapersListing.xls
« Shortly after I received the signed contract, I flew to Port Townsend to spend a long weekend with FH discussing the various problems which we both forsaw. I taped about eight hours of our conversations, and they now form part of the Herbert Archives at the Special Collections Library, Cal State Fullerton. Crucial to these conversations we held was the understanding that FH trusted me to remain true to the spirit of his books– »
C’est aussi un peu ce qui m’a poussé à poser cette question, dans la mesure où il parle de cassettes d’enregistrements. 8heures d’enregistrements, cela doit tenir en quelques cassettes, et cela ne remplit pas 22 cartons. donc le répertoire que tu affiches corrige le pessimisme sur la présence de documents dans ce ‘sanctuaire’ dont certainement une partie se doit d’être en relation avec Dune d’une manière ou d’une autre (la DE ou une tentative de pré-quelle) – le reste pouvant davantage en relation avec ses travaux de spécialiste en littérature (et voire p-e déborde de littérature britannique en fin de compte…)
Merci pour ses précisions.
Et en effet une prospection approfondie au Dar-es-Balat californien s’impose 🙂
Merci Ionah pour cet article qui, pour le presque profane que je suis, éclaire la « Dune Encyclopedia » sous un jour nouveau.
Bravo !
DuneSF a créé ce blog pour initier le profane 😛
Tain’ c’est chaud toussa ! Mais c’est vachement intéressant votre binz. Ramené nous des souvenir de votre voyage 🙂