le Peuple de Dune (05)


La subtilité de l’exercice politique

réside, dans l’absolu, en une simple intention utopique:

créer toutes les possibilités.

— Empereur Irulon VI.



De tout l’univers connu, le palais impérial était sans nul doute l’endroit le plus agréable à habiter. C’était exactement ce que pensait l’empereur Irulon VI tandis qu’il regagnait ses appartements, accompagné d’une escorte d’une vingtaine de sardaukars. Et indéniablement les immenses colonnes de marbre blanc alignées de chaque côté de ce long couloir n’avaient pas d’autre effet que d’impressionner les visiteurs, même ceux dont les yeux étaient les plus exercés à l’architecture complexe de ce palais dont la luminosité était par ailleurs exceptionnelle.

Irulon savait qu’avec ses atours bleu nuit sertis de pierres précieuses et sa longue cape pourpre lui descendant jusqu’aux chevilles, il ne faisait que s’inscrire dans ce décor déjà si luxueux. Lui-même était de taille plutôt moyenne et avait une corpulence assez fine. Ses gestes gracieux et maniérés lui donnaient un air dédaigneux. Ses cheveux étaient d’un blanc de neige, bien qu’il fut assez jeune – pour un empereur, il n’avait que 53 ans. Ses yeux azur donnaient l’impression de transpercer avec malice quiconque se trouvait dans son champ de vision. Mais le plus surprenant chez lui était son léger sourire; pas un sourire de joie, mais un sourire de prédateur se délectant d’avance à traquer puis piéger une proie.

L’écho des paroles de la diseuse de vérité résonnait encore en lui. Il était plutôt enthousiaste. Au lieu de le préoccuper, les nouvelles qu’elle avait rapportées lui avaient même provoqué une certaine jubilation.

Ainsi je vais pouvoir m’amuser un peu? Intéressant. La Guilde est un adversaire remarquable, c’est indéniable. Peut-être digne de moi. Pas comme ce cher cousin… paix à son âme

Bien sûr, il n’ignorait pas ce que l’on racontait sur lui à travers tout l’Empire. Ces nombreuses rumeurs l’emplissaient à chaque fois d’une certaine joie.

Vous me prenez pour un imposteur et un assassin, mais ignorez-vous donc que l’histoire politique n’est rien d’autre qu’une succession de complots, de trahisons et de crimes? Êtes-vous si naïfs?

Le fait demeurait que c’était bel et bien le cas. Il ne doutait pas que les secrets de la politique n’étaient réservés qu’à une élite dont il faisait partie. En vérité Faradh V, son cousin, s’il n’avait pas été aussi faible, aurait bien pu être un excellent chef. Mais n’ayant pas le charisme et l’audace d’Irulon, ce dernier avait pris comme un devoir la simple formalité de l’éliminer. C’était une besogne nécessaire. Difficile, certes, mais indispensable. Il n’avait vu que le bien de l’Empire, qu’il avait sauvé d’un faible. Irulon espérait secrètement que l’Histoire porterait précisément ce regard sur son règne.

Une fois arrivé dans ses appartements, dont les couleurs dominantes comme dans le reste du château étaient le blanc et le vert émeraude, il congédia son escorte et s’assit à son bureau, imitation d’un meuble de l’antique époque du roi Louis XIV, obscur roi mineur de l’ancienne Terra. Très peu de gens étaient autorisés à entrer dans ses quartiers privés. Il y restait souvent assis de longues heures, réfléchissant à chaque décision qu’il avait à prendre. Dans ce cas précis, il s’agissait des ordres qu’il devait donner à propos du cas Arrakis.

Il ne pouvait pas affronter la Guilde de front, c’était évident. Il est intéressant de remarquer à quel point le pouvoir impérial est limité par des organisations qui échappent totalement à mon contrôle pensait-il. Mais aussi paradoxal que cela pouvait paraître, l’Imperium n’était qu’une force parmi d’autres de l’Univers Connu, chacune étant dépendante des autres. Non, le mieux est sans doute de risquer une attaque oblique. Pour détruire un obstacle, il faut commencer par annihiler les facteurs qui soutiennent cet obstacle. Or, le problème est que la Guilde commence à avoir un stock d’épice d’une importance non négligeable.

Tant que les forces en présence dans l’univers se compensaient, aucune ne mettant les autres sous sa domination, la situation restait stable et acceptable. Mais si la Guilde prenait trop d’importance, l’équilibre des puissances s’en trouverait fortement contrarié’

Je ne peux pas me permettre une confrontation armée… Pas tout de suite en tout cas. Il faut plutôt disloquer les relations entre la Guilde et les Vagabonds Zensunni. Et je connais exactement la personne qu’il me faut: Kovan Stellio! Sans nul doute, il pourra réussir à s’infiltrer parmi les Zensunni, et attaquer de l’intérieur, sans que quiconque ne se doute que l’Imperium est responsable de la chute de la Guilde.

Si personne ne savait, le risque de représailles était inexistant. Surtout que Stellio n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà provoqué de nombreuses révoltes pour le compte de l’Empereur sur une dizaine de planètes, et jamais le doute ne s’était porté sur lui. Je ne crois pas m’être autant amusé depuis l’organisation du meurtre de mon cousin.

L’empereur fut secoué d’un rire impulsif. Il venait une fois de plus de se rendre compte à quel point vu d’en haut, les destinées humaines pouvaient être contrôlées. Il prit aussitôt une feuille de papier et inscrivit en langage codée ces quelques mots : Kovan, les Zensunni représentent un danger pour la splendeur de l’Empire, prévenez les commandants d’unités présentes sur Arrakis qu’ils doivent prendre leurs dispositions afin d’écarter tout risque. Infiltrez le plus rapidement possible les immigrés et faites le nécessaire pour briser toute entente avec la Guilde.

Il cacheta en gloussant la lettre avec le sceau impérial.

 


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