le Peuple de Dune (02)


Quilibet, Quolibet, Quandolibet

N’importe quoi, n’importe quand, n’importe où.

— Précepte de la Guilde.


Akatran était pressé. Tarmaz, le Directeur des Opérations l’avait convoqué de bonne heure ce jour-là, et même s’il avait fait son possible pour arriver à l’heure, les avenues de Cervanite étaient toujours encombrées à cette heure. Cela aurait pu le mettre de mauvaise humeur, mais il savait se contrôler ; c’était d’ailleurs sûrement cette faculté qui lui avait permis de devenir le conseiller personnel du respecté Tarmaz. Pourtant, cela ne l’empêchait pas de regretter déjà le contact de sa tendre Elminda et la douceur de l’atmosphère finement parfumée aux vapeurs d’épice de son appartement. De toute façon, quand son supérieur lui donnait un ordre, Akatran avait la fâcheuse habitude d’obéir.

Il arriva à la porte de l’ascenseur, et en attendant ce dernier, entrouvrit le dossier qu’il portait dans les mains, pour s’imprégner du sujet qui occupait son directeur. Ils travaillaient actuellement sur l’extraction d’épice sur Arrakis qui devaient être confiée sous peu aux vagabonds Zensunni. À cette pensée, Akatran eut une moue de dégoût ; ces êtres abjects qui vont de planète en planète sans avoir de planète mère! Il se sentait fier, lui, d’appartenir au Corpus Luminis Praenuniantis qui pouvait fournir à tous les habitants des mondes connus un moyen de transport efficace. On ne pouvait pas se passer de la Guilde, alors que les Zensunni étaient insignifiants car remplaçables.

Mais ce n’était pas lui qui était maître des décisions, même s’il savait qu’un jour, ce serait sûrement le cas.

L’ascenseur s’ouvrit et Akatran sourit à la secrétaire de Tarmaz qui s’y trouvait déjà. Être sociable et charmant, tel il devait être. Ces vagabonds ne devaient pas connaître tous ces principes. Des sauvages, simplement. Finalement, ils étaient un bon moyen d’extraction, mieux que des machines, puisqu’ils n’avaient pas besoin de réparations ; et puis, l’administration guildienne avait déjà eu la formidable idée de s’assurer leur coopération en leur « offrant » le droit de passage jusqu’à Arrakis. Il fallait simplement maintenant attendre le rapport de la section Exploration qui était sur place avec quelques Sardaukars. Un problème d’ailleurs, ces Sardaukars, car certes ils assuraient la sécurité, mais ils constituaient surtout un formidable moyen de pression et d’espionnage de la part d’Irulon VI, le traître qui n?avait pas hésité à usurper la place de son cousin Faradh V et dont la fourberie était connue de tous.

L’ascenseur s’arrêta au 250e étage et s’ouvrit sur le luxueux, quoique assez sobre, bureau du Directeur des Opérations.

Apparemment, on n’attendait plus qu’eux, car les principaux responsables de la branche Opérations étaient déjà présents ; ils arboraient d’ailleurs un air renfrogné probablement dû à leur attente. On trouvait assis à la gauche de Tarmaz le grand et maigre Ormel, qui dirigeait la partie Recherche et Développement, elle-même connue pour son intérêt pour tout ce qui pouvait étendre le pouvoir déjà phénoménal de la guilde. Ormel était très strict et plaisantait rarement, et il avait un goût excessif pour le travail, ce qui avait fait de lui le candidat idéal pour ce poste plutôt ingrat. À la droite du directeur se tenait Jutan, un homme frêle et sombre dont la personnalité était telle qu’on connaissait plus le résultat de ses recherches que ses interventions pourtant véhémentes qui prônaient l’utilisation de pilules chimiques à la place des aliments habituels. Il travaillait depuis longtemps déjà à la synthèse de l’épice, qui devait permettre un jour à la Guilde de s’affranchir définitivement du pouvoir impérial ; il était donc évident qu’on plaçait beaucoup d’espoir dans les recherches expérimentales de Jutan, même si les résultats, jusqu’à présent, avaient été peu probants. Son efficacité à avoir développé le gaz XRB-12 exterminateur les lucocyptères, ces insectes qui détérioraient les carcasses des cargos sur Kaitan lui avait permis d’acquérir cette place chèrement convoitée. Il n’était pas exclu que quelqu’un le remplace sous peu au vu de ses échecs, mais il était encore là.

Enfin, il y avait, assis à la droite de Tarmaz, Rulan von Goth, le célèbre responsable de la partie Exploration et qui avait à ses ordres une armée de scientifiques et de soldats prêts à s’emparer économiquement de planètes à même d’accueillir la Guilde, ou au moins de solliciter ses services. Cet homme élancé était très arrogant et ne supportait pas qu’on remette en cause l’efficacité de ses services.

Le regard d’Akatran, après avoir fait le tour des personnes présentes, se posa de nouveau sur Tarmaz qui prit aussitôt la parole.

– Puisqu’il ne manquait que vous, cher Akatran, nous pouvons commencer.

Tous les collaborateurs acquiescèrent, non sans rappeler que la ponctualité devait faire partie des qualités primaires d’un agent de la guilde.

– Si je vous ai tous convoqués, c’est pour vous communiquer la nouvelle que les Zensunni travailleront désormais officiellement à la récolte de l’épice. Comme vous le savez déjà, nous avons pu nous assurer leur collaboration à plusieurs reprises, mais nous craignions une certaine réticence de leur part. Il s’avère qu’ils semblent finalement définitivement résignés à rester à notre service en échange d’une illusion de liberté.

– Voilà une bonne nouvelle qui va nous permettre de produire enfin par nous même ce précieux mélange. L’empereur ne doit pas voir cela d’un très bon œil! hasarda Ormel, avec son habituel accent très articulé.

– En effet, si l’empereur nous a fourni des sardaukars, il n’a pas moins soumis nos navigateurs présents sur place à une diseuse de vérité afin de s’assurer que nous ne lui réservions aucune perfidie. Nous ne pourrons donc comme prévu augmenter drastiquement la production. Ainsi, il est de plus en plus vital, avec l’apparition des nouveaux marchés des systèmes de Tantale et d’Axromate, que nous synthétisions nous-même notre propre épice ! C’est pourquoi, mon cher Julan, nous comptons plus que jamais sur la fertilité de vos laboratoires. Il pourrait être également salutaire que nous découvrions une autre planète capable de nous fournir une telle substance, n’est-ce pas Monsieur von Goth ?

– Nous nous efforçons d’être efficaces, mais je doute cependant que nous atteignions cet objectif avant plusieurs cycles. Il semble que seule Arrakis ne rassemble les ingrédients nécessaires à la …

– J’aimerais pouvoir entendre des prévisions plus optimistes ! Si aucun de vous n’est capable d’être utile au Corpus, nous ne pourrons bien longtemps nous targuer d’être la plus grosse puissance commerciale de l’empire. Nous devons trouver un moyen!

Après ce constat peu glorieux, un calme emprunt de crainte s’installa parmi les personnes présentes. Chacun semblait tétanisé à l’idée d’exposer son idée de la situation. Pourtant, Ormel décida de prendre la parole.

– Il semble que nous ne puissions pour l’instant que nous focaliser sur l’exploitation des ressources d’Arrakis. Il nous faut donc par tous les moyens réussir à faire travailler les Zensunni plus que prévu afin de satisfaire à nos besoins, et ceci sans attirer l’attention de l’empereur.

– Vous résumez bien la situation, Ormel, mais cela ne nous avance guère. Nous sommes bloqués, répondit le directeur.

– J’ai justement, je pense, une solution. Je connais quelqu’un capable de nous donner l’avantage, quelqu’un de fiable et qui saura échapper aux mailles du filet tissé par l’empereur.

– Et qui est cette personne à qui nous devrions notre salut ?

– Je ne connais pas son nom, mais bientôt, je vous assure que l’épice coulera à flots.


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