La semaine dernière, en attaquant à ma PAL, je suis tombé sur High-Opp, ce « roman inédit de l’auteur de Dune ». Marqueté de la sorte, difficile pour le fan de Dune, et plus généralement de Frank Herbert, que je suis de passer à côté. Car il ne faut pas s’y tromper, et malgré les qualités qu’on peut trouver à ce roman, il s’agit bien pour HLP de tirer profit de tout ce qui peut être estampillé « Frank Herbert ». Si en plus c’est inédit, c’est encore mieux…
Parions que cette initiative sera suivie par d’autres. De toute façon, on est prévenu dès la préface qui donne des indications sur les prochaines sorties d’inédits signés Herbert (en plus d’Angels’ Fall déjà publié en anglais lorsque High-Opp sort en France, on aura sûrement le droit à A game of authors – comment se passer de la publication d’un roman dont le titre à lui seul est en mesure d’amener de nombreux lecteurs ne connaissant pas forcément l’œuvre de Herbert – « et bien d’autres » comme nous l’indique la préface). Et oui lecteur-consommateur, on te fait saliver par avance, tel Disney qui t’annonce dès aujourd’hui un Star Wars par an durant la prochaine décennie!
Avant de parler du roman en lui-même, et de ce qu’il nous apporte comme éclairage sur l’œuvre de Herbert, arrêtons-nous sur le produit en lui-même. La version française que j’ai lue est la version Pocket avec l’équipe « habituelle » (Patrick Dusoulier à la traduction et Gérard Klein à la postface). Sorti aux Etats-Unis en 2012, High-Opp est publié en France en 2014 par Robert Laffont (quand je vous dis qu’on garde les bonnes vieilles habitudes). Surprise (ou pas…) : la préface est signée Kevin J. Anderson. Loin de moi l’idée de faire du mauvais esprit, mais on s’attendrait à ce que ce soit un « Herbert » qui nous présente cette œuvre originale, jamais publiée du vivant de l’auteur. Son « biographe officiel », par exemple (mais si rappelez-vous l’auteur de Dreamer of Dune, finaliste du Prix Hugo 2004… Brian Herbert pour ceux qui feraient semblant de ne pas comprendre). Bref, l’ami Kevin se fend d’une préface sur cette œuvre. Préface qui a le mérite de ne pas nous présenter l’histoire de ce roman (il faudra attendre la postface de Gérard Klein pour revenir un peu plus sur le sujet). Sur 6 paragraphes que comptent la prose d’Anderson, deux sont consacrés aux débuts d’Herbert – dont un pour nous rappeler qu’on doit ces informations à Brian Herbert (dont il ne faut pas oublier d’acheter le Dreamer of Dune – finaliste du Hugo 2004…), à ses premiers romans non publiés (High-Opp daterait-il de cette époque ?), un autre nous présente donc les futurs inédits que HLP prévoit de publier, un autre est consacré à Dune, on nous présente enfin l’intrigue avant de nous annoncer (dans le dernier paragraphe) la chance qui s’offre à nous de découvrir « cet ouvrage perdu présenté ici pour la première fois ».
On peut enfin découvrir le roman, avant d’aller lire la postface de Gérard Klein. Cette postface, elle non plus, n’est pas des plus originales. Du Klein dans le texte, qui profite du refus opposé à la publication de High-Opp pour nous rappeler la condition précaire que connaissent les écrivains de science-fiction, maltraités par tous (éditeurs, critiques, lecteurs). J’exagère, tout n’est pas à jeter dans cette postface. En effet, Klein y fait également le boulot d’Anderson en nous présentant l’œuvre et son contexte (même si à mon avis, il oublie un élément important dans son analyse, notamment le rapport qu’on peut faire entre High-Opp et Dune). Comme je le disais plus haut, Kevin n’est pas en mesure de nous donner la date à laquelle Frank Herbert a rédigé/essayé de publier High-Opp. Visiblement personne ne sait dater le manuscrit (aucune date dans les notes de Frank Herbert ??). Klein estime cette date entre 1955 (sortie du Dragon sous la mer) et 1960, voire 1959 (date à laquelle Herbert s’attaque à Dune). Ce texte aurait donc été écrit entre ces deux grands jalons de l’œuvre de Herbert. C’est à la fois peu dire (sur cette période, on nous dit que Herbert a écrit plusieurs romans non parus, combien?, son style était-il déjà présent ou s’est-il façonné durant cette période?) et beaucoup dire (ça permet de comprendre les références et l’enchaînement des œuvres, les influences des unes par rapport aux autres, notamment le rapport qui existe entre High-Opp et Dune).
Arrêtons là l’analyse du « produit » Pocket plutôt bien réussi d’un point de vue marketing, tous les éléments sont là, la référence à Dune sur la couverture, l’ouverture par un « officiel » de la maison Herbert et la conclusion par le Pape de la SF en France.
Venons-en à l’intrigue (comme je la trouve plutôt bien faite, je vais reprendre la 4ème de couverture) :
L’ordre hégémonique du gouvernement mondial assure la stabilité de la société divisée en High-Opp – la classe dirigeante – et Low-Opp – la plèbe productrice. Malgré un simulacre de démocratie participative, chez le peuple, la colère gronde. La veille encore, Dan Movius était Liaitor, un influent High-Opp, fermant les yeux sur les manipulations politiques pour mieux jouir de ses acquis. Mais les luttes de pouvoir et les guerres intestines ont eu raison de lui : il est low-oppé. Sa chute sociale lui laisse un goût amer et une soif de revanche insatiable. La révolution n’attendait qu’un chef, le voici. Mais l’Histoire avait déjà tout prévu…
On retrouve dans ce résumé (qui est confirmé par le contenu du roman) plusieurs références évidentes à d’autres œuvres de Frank Herbert qui seront publiées ultérieurement. Ce thème de la bureaucratie, on le retrouvera dans la duologie du Bureau des Sabotages (Dosadi et L’étoile et le fouet) dont High-Opp aurait pu naturellement constituer le premier tome d’une trilogie (le contexte est identique à ces deux autres œuvres, les extra-terrestes en moins). En effet, non seulement Herbert développe cette notion de « Bureau » (Bur-Psy, Bur-Trans, Bur-Comm et bien d’autres), qui sont autant de symboles de la bureaucratie qu’il exècre mais en plus, d’après Gérard Klein, certains passages de High-Opp seront copiés/collés dans Dosadi (quitte à le faire douter – moins de 5 secondes – de la réelle paternité de Frank Herbert quant à cette œuvre… complotiste, moi ??). Je partage l’avis de G. Klein sur cette filiation naturelle mais j’en vois également une autre (je suis d’ailleurs surpris qu’elle ne soit pas mentionnée dans cette postface – le combat des auteurs de SF ne pouvait probablement pas attendre…). Cette autre filiation, je l’ai déjà mentionnée, c’est une filiation avec Dune. Elle apparaît d’autant plus évidente quand on regarde la datation de High-Opp.
Comment ne pas voir dans Dan Movius un proto-Paul Atréides. Etoile montante de la classe dirigeante qui va conduire une révolution en utilisant la plèbe/un peuple « maltraité » pour assouvir sa soif de vengeance et renverser le gouvernement mondial/impérial établi. Jusqu’au bout de l’intrigue, le parallèle est saisissant (dans les deux cas, le héros s’aperçoit – un peu tard – de ce qu’il a fait et des forces qu’il faudra employer pour corriger ses actions). Enfin cette dernière phrase « mais l’Histoire avait déjà tout prévu » nous renvoie à un autre thème Dunien, Dan Movius est un pion sur un échiquier que deux joueurs pensent manipuler pour arriver à leur fin, jusqu’au jour où leur pion met à mal les plans à long terme minutieusement préparés. Le parallèle avec le Bene Gesserit est bien présent là aussi (leur précieux Kwisatz Haderach qui leur échappe – sans parler des échecs essuyés avant son arrivée).
Mais la lecture de High-Opp ne se résume pas qu’à un jeu de chasse aux références. En effet, il s’agit également d’un roman à part entière présentant une critique acerbe et des dévoiements possibles de la démocratie participative et des effets néfastes de l’homogénéisation du monde face à l’individu et de l’apathie qu’elle peut entraîner. La référence aux instituts de sondages (« Par Ipsos ! Par Gallup ! » sont les nouveaux dieux par qui jurent les personnages du roman…) et leur critique virulente se manifeste tout au long du récit. Tel un John Longshaw Austin (dont je vous préconise l’excellent Quand dire c’est faire), Herbert ausculte le pouvoir du verbe sur la décision. En effet, la classe dirigeante utilise la sémantique comme science du pouvoir, afin que la rédaction des questions (grammaire, choix des mots…) oriente les réponses des votants pour obtenir les réponses souhaitées (où comment l’intitulé de la question permet de verrouiller le débat, de telle sorte qu’une seule réponse – celle souhaitée par le gouvernement – ne soit possible). Ainsi donc, dès le milieu des années 50, Frank Herbert décrit notre monde tel qu’il sera (on le voit avec les méthodes politiques actuelles).
En abordant ces thèmes, on se rend compte que Frank Herbert (et Jean-Pierre Lion du Belial ne s’y trompe pas) était déjà avant-gardiste. C’est probablement pour cela que ce roman n’a pas trouvé preneur. En effet, il est facile à lire et beaucoup moins long que Dune. Bref, il a toutes les qualités requises pour une publication (sauf si on n’arrive pas à se projeter dans cet univers peu éloigné de ce que le monde politique est devenu aujourd’hui). Et c’est une bonne chose qu’il sorte en ces temps d’élections des deux côtés de l’Atlantique. En effet, quand on voit certains mêmes qui ont fleuri ici ou là pour « inciter » à voter (ou pas) pour son champion, comparant des personnes réelles à des personnages de fiction (plus ou moins recommandables, y compris dans le Dunivers) ; à l’incessant manège des sondages censés nous aider à nous décider, alors qu’il s’agit en fait de nous confronter à une certaine norme à laquelle il faudrait se conformer ; on ne peut que se réjouir de trouver un livre comme High-Opp pour nous rappeler des dangers de telles attitudes. On peut cependant s’inquiéter de voir qu’une fois encore la réalité a dépassé la fiction…
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