Ma planète, Arrakis, est si belle quand le soleil est bas. Tourbillonnant sur le sable, l’épice forme un léger brouillard. Les étrangers ravagent nos terres sous nos yeux. Je n’ai jamais connu que leur cruauté envers mon peuple. Que deviendra notre monde ?

Chani

C’est parti mon kiki | (c) Warner Bros / Leegndary

Le 22 juillet dernier , le monde a pu découvrir enfin la bande-annonce finale (ou trailer) du film Dune de Denis Villeneuve. Elle avait été précédée en septembre dernier – soit près d’un an d’attente ! – d’une première bande-annonce (teaser). Là où ce dernier avait pour fonction de donner aux fans duniens l’occasion d’un premier coup d’œil sur les choix graphiques du film et sur le traitement de quelques scènes iconiques – dont le test d’humanité – le trailer au contraire est chargé d’allécher le public général.

Le teaser, en tant que premier aperçu du film¹, fut beaucoup commenté par la communauté dunienne mondiale : expression d’une curiosité méritée (le fan a faim), analyse poussée du contenu (le fan adore interpréter), premières critiques parfois acerbes (le fan est intraitable) voire détournements tels que celui de cracked.com (parce que le fan, au fond, est plus potache que méchant). Le trailer quant à lui se révèle plus sage : il s’agit de parler du film (et de le « vendre » par avance…) en situant son contexte, en posant quelques-uns de ses personnages et en effleurant certains axes de son intrigue.

Alors, Dune est-il déjà « vendu » ?

Peut-être le teaser fut-il pensé pour toucher le public qui était d’abord fan de Dune avec des séquences cinématographiques qui étaient en relation directe avec le texte alors que le trailer agrandit l’audience en augmentant la dimension du message ? (plus d’action, plus de vaisseaux, plus de personnages, plus de dialogues…)

Jessica | (c) Warner Bros / Legendary

Ce que ce trailer montre, c’est un univers de danger où les relations humaines sont d’une grande variété : haine (des indigènes pour leurs oppresseurs), dévotion (des Atréides pour leur Duc), familiarité s’exprimant à travers l’humour (entre les dirigeants des Atréides et leurs hommes de main). Frank Herbert a pris soin de faire de Dune un tableau humain avant d’en faire un tableau de machines, de planètes et de pouvoirs : en ce sens, le trailer de Dune montre que cette intention a été comprise. En reprenant certains codes du cinéma de SF contemporain, ces quelques minutes venues non seulement d’Arrakis mais aussi de Caladan, Giedi Prime et Salusa Secundus emballent de façon classique un objet des plus nouveaux. Le héros qu’est Paul Atréides, loin du test d’humanité qui habitait le teaser, subit ici une évolution accélérée qui préfigure son voyage : endormi rêvant de Chani, se confiant aux hommes de son père qui n’hésitent pas à l’éprouver pour mieux le tirer de sa chrysalide, puis confronté enfin à l’épreuve du terrain le plus cruel qui soit. L’image qui précède le titre final, énigmatique, renvoie peut-être au début onirique du trailer – à moins qu’elle ne pointe l’ultime transformation du héros qui redevient Paul Atréides au moment de s’asseoir sur le trône impérial.

Wormriding sans les mains | (c) Warner Bros / Legendary

Notons que la parution du trailer s’est accompagnée de deux événements peu habituels : une diffusion exceptionnelle en salle IMAX (avec 10min de film en prime) la veille, et la parution d’une bonne douzaine d’affiches de films qui sont en fait une galerie de portraits de personnages majeurs du film. Y aurait-il trop de personnages ? Les distributeurs chercheraient-ils à ‘instruire’ le public avant la séance ? Rappelons nous de la fiche terminologique qui fut distribuée lors de la première du Dune de David Lynch…

Nous sommes la Maison Atréides. Nul appel ne reste sans réponse. Nulle Foi n’est jamais trahie.

Duc Leto Atéides

Pensé avec intelligence pour « vendre » un film dont le sujet est peu ou mal connu à l’extérieur du cercle hélas restreint des amateurs de Dune, le trailer n’oublie pas de remplir une autre fonction – celle que l’on appelle parfois le fan service. Comme dit plus haut, le fan a faim – et c’est d’autant plus vrai que cette faim est ancienne. Tentative échouée de Jodorowsky, film critiqué de Lynch, minisérie mal comprise de Harrison, projet échoué de Paramount pictures : pour un roman aussi acclamé que Dune, il faut reconnaître avec déception que les adaptations se sont révélées aussi rares que des oasis dans le désert… Le style graphique, déjà en partie dévoilé par le teaser, est ici approfondi et convainc d’autant plus. S’éloignant parfois des choix faits par les précédentes adaptations (le distille de combat au masque rétractable, par exemple, est une originale nouveauté… tout comme les yeux de l’Ibad qui cessent enfin d’être opalescents!), le trailer montre malgré tout qu’elles figurent dans le surmoi du film de Denis Villeneuve. Ainsi les uniformes atréides ressemblent-ils à une « mise à jour » de ceux du film de Lynch ; ainsi la gestuelle de certains méchants évoque-t-elle les tics du Baron Harkonnen chez Harrison…

Le fan dunien était sans doute déjà convaincu de l’intérêt du film à venir avant même la sortie de son teaser : si ce dernier n’avait pas suffi à rassurer les indécis, nul doute que le trailer quant à lui en aura été capable. Et s’il était sans doute déjà ravi par le teaser,  le trailer peut-être lui aura-t-il fait reprendre conscience du fait qu’il ne s’agit que d’une adaptation dont les producteurs et réalisateurs gardent une marge de manœuvre, celle de l’interprétation. Celle-ci sera peut-être éloignée de ce que l’amateur du texte aimerait voir et entendre : une œuvre appartient à son créateur et non à son public.

~~~