Plus spécifiquement avec des personnages du film de David Lynch, dont le Baron Harkonnen devient l’avatar d’une série de mèmes dans lesquels le visage du candidat républicain Donald J. Trump y est accolé, ou bien sa devise détournée en ‘Make Arrakis Great Again‘2 ou autre approchant. Cette œuvre cinématographique se prête, s’offre à l’exercice de par ses choix esthétiques et sa restitution nettement dichotomique entre des ‘mauvais’ très décadents et de ‘bons’ quasi-chevaleresques. Repensons à l’Empereur Padishah autoritaire, rigide, luxurieux, manipulateur et finalement incompétent et incapable; ou au Baron Harkonnen gros, laid, malade, retors et pervers face au Duc Leto droit, juste, rationnel, noble et tragique, ou à un Paul jeune, naïf, combatif et inspiré.
S’il y a eu des tentatives pour tirer la ficelle jusqu’au bout et/ou dans les deux sens, c’est l’association du Baron et du candidat républicain Donald J. Trump qui a eu une certaine préférence – chez ses détracteurs. Et Meghan Trainor3 avait déjà tenté en Mai 2016 de saisir la portée des assimilations entre les personnages et les candidats. En tentant de poursuivre les parallèles plus qu’en expliquant leurs origines, l’essai en lui-même démontrait assez bien les limites du genre.
Clinton has no easy metaphor in the Dune mythos, but one thing Herbert did well was women in power.
Dans l’escalade comparative, Max Otworth choisissait de jouer sur une touche d’anachronisme et d’absurde 4.
Luckily for us, the visionary writer Frank Herbert saw Trump coming way back in 1965, and painted a prophetic picture of Trump’s future political legacy in his epic sci-fi series Dune.
En fait, c’est le caractère même du mème qui fait que cela ne peut fonctionner qu’au niveau du détail, de l’anecdote. Car le mème s’affranchit de toute profondeur, de toute substance, de toute réflexion. Il est une sorte de mise en abîme, un clin d’œil, une boutade, un trait d’esprit détourné, répété et décliné à souhait (ou ad nauseam, selon) d’un schéma dont seuls ceux qui en sont à l’origine peut-être se souviennent du sens. Le mème est contagieux comme on l’observe sur les sites agrégateurs, les murs des réseaux sociaux ou les forums de discussion. Peu étonnant dès lors qu’il soit utilisé pour générer du ‘clic’ facile par tout hédoniste mono-centré.
Car plus rapide, plus facile, plus séduisant le mème est5. Il semble pertinent ou perspicace, et pourtant vain; juste-à-propos et pourtant incongru. Le mème n’est pas un argument, juste une pirouette qui, à force de répétition, ne peut que faire tourner les têtes en girouette et les détourner de l’essentiel, c’est-à-dire de la réflexion dont il se veut être le parangon alors qu’il en vide le sens et en dispense l’effort.
Quelque part, le mème est le psittacisme version Web2.0.
Et que nous apprend Frank Herbert sur un tel phénomène? Qu’il faut s’en méfier. Il faut trouver les habitus et les questionner; écouter l’autre main. C’est l’idée qu’il développe dans son texte « Listening to the left Hand » inclu dans le recueil de Tim O’Reilly dont il fut traité dans un article précédent6 et surtout lorsqu’il traite du thème du Messie dans Dune. Ce n’est pas en vain ou par ennui que l’Empereur-Dieu se cherche des opposants.
« Nur tote Fische schwimmen mit dem Strom. »7
Bertolt Brecht
Suggérer le mème comme mode d’expression politique requiert de faire appel à l’adhésion instinctive et non à la réflexion critique. Le mème n’est pas construit pour argumenter et échanger, il est fait pour édicter et départager. C’est ce biais grégaire des individus – celui-là même qui trace les frontières des communautés virtuelles sur les réseaux sociaux – auquel le mème fait appel. Sinon au côté reptilien de leur cortex. Annonçant par là une énième défaite de la pensée – à tous penser la même chose, on ne pense plus rien. Le mème tue la raison.
Relevons toutefois l’entreprise artistique de Daniel Pye et K.C. Fagan qui tentèrent de faire interagir le déroulement de la campagne avec la trame du Roman de Dune8 avec des prises de libertés à la fois nécessaires et créatives. En simulant une confrontation politique entre Paul Atréides et un Baron Harkonnen/Trump pour le contrôle d’Arrakis et de l’Impérium, une aventure virtuelle et interactive a accompagné le calendrier de la campagne en alternant entre planches illustrées et vrai-faux débats par twits interposés. Dépassant le monologue du mème, ce pastiche de débat électoral repose sur une vieille tradition de comique burlesque de la fausse interview dont il y eu de nombreuses déclinaisons lors de ces derniers mois. Son déroulement suivait un plan relativement souple puisant à souhait dans le Dunivers pour créer des situations et reprenant les grandes lignes ou sorties de la campagne. Si quelque part le Paul Muad’Dib tenait plus de Bernie Sanders que de Hillary Clinton, le Baron Harkonnen était dessiné en Donald J. Trump.
Mais là aussi, la blague pris fin le 9 Novembre. Ce qui prêtait à rire ne fit plus rire.
Mais dans les deux cas, ne peut-on pas relever le même symptôme? Quelque part il s’agit bien inconsciemment de conjurer une certaine réalité, de se masquer la face en se réfugiant derrière des images d’Épinal en prétendant échapper aux phénomènes, de se constituer un petit univers dissonant basé sur la méthode Coué tout en laissant la vallée dérangeante s’élargir jusqu’au point de rupture ? Une éducation à coup seul de mèmes ou des ‘Guignols de l’Information’ ni ne forme, ni n’instruit. Si le rire doit permettre la mise en perspective, ce n’est pas pour le simple rire en lui-même mais pour obtenir un moment, une distance qui doit permettre à l’individu de réévaluer une situation. Le rire tue la peur. C’est ce ‘danger’ que Jorge de Burgos veut combattre dans le ‘Nom de la Rose’. Mais certainement, Richard Dawkins ne se doutait pas que le terme qu’il forgeait dans son essai ‘Le Gène égoïste’9 deviendrait le symbole d’une culture que les générations futures – peut-être – qualifieront de ‘mémétisante’.
Toujours est-il, dans le cas présent, finalement « the joke’s on you ! – bigly »
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[1] science des temps nouveaux qui recouvre la très nécessaire disciple du ‘fact-checking’
[2] dérivé du slogan officiel « Make America Great Again »
[3] lire l’article de @meghantrainor sur Medium – Trump as Baron Harkonnen
[4] lire l’article sur le blog de Max Otworth the sardonic observer – Trump revealed to be young Baron Vladimir Harkonnen
[5] comme le côté obscur, jeune Padawan.
[6] lire notre publication sur le blog the Maker of Dune et notre article sur le forum Listening to the left Hand
[7] « Seuls les poissons morts nagent avec le courant »
[8] consulter le compte Dune2016! sur Twitter >> @dunedecides
[9] ‘The Selfish Gene’ by Richard Dawkins – 1976
[1] DONALD TRUMP BARON VLADIMIR HARKONNEN DUNE sur Starecat.com
[2] trois originaux par EnjoysMangos sur Reddit
[3] THE MEMES MUST FLOW par shadilay_keks_will sur Instagram
[4] Logo Dune Decides! sur Twitter @dunedecides
[4] Evil Drumpf par T_P_K sur urantiansojourn.com The Evil Drumpf
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