Les circonstances sont la clé.
Elles fournissent les avantages tactiques
et souvent les meilleurs alliés,
mieux que n’importe quel manuel.
— Sayam Tal’Arud, maître stratège – Discours.
La porte de la navette s’ouvrit sur le spatioport d’Arrakeen, et l’air surchauffé se rua sur Zylves Thira. Aucun souffle de vent ne venait troubler la pesante atmosphère de la région protégée par le Mur du Bouclier. Il nota au loin la présence de miradors, et un peu partout de nombreux gardes sardaukars en uniforme. D’une démarche rapide, il traversa l’aire de débarquement, et soupira de soulagement lorsqu’il il atteignit enfin l’ombre du bureau de transit.
Il se demanda combien de temps mettrait son organisme à s’habituer à son nouvel environnement… ou même s’il s’y habituerait un jour.
Il passa sans difficulté les formalités de contrôle grâce à ses documents contrefaits. Après quelques minutes de marche qui lui parurent des heures à cause de la chaleur oppressante, il s’enfonça avec soulagement dans les rues d’Arrakeen en même temps que dans sa nouvelle existence.
Il trouva à se loger dans une sorte de taverne de garnison et attendit le soir. S’il avait espéré y trouver un peu de fraîcheur et moins de patrouilles, il fut déçu. Mais cela ne l’arrêta pas. Il mit a profit ses capacités pour rejoindre le premier contact sélectionné sur une liste qu’il avait mémorisée.
La nuit semblait plus dense dans les ruelles. Les premières rencontres de Zylves l’avaient mis en possession d’informations précises, et surtout en relation avec des hommes utiles. Il était convenu qu’il logerait chez un certain Thyrath, le temps de trouver un établissement plus conforme à sa mission.
En marchant entre les maisons basses et uniformes, il répétait ses plans. Il était évident qu’il ne pourrait disposer d’une usine moissonneuse. Il devrait donc organiser des équipes de récoltes et une installation de raffinage fixe. Les composants seraient facile à rassembler et il avait déjà quelques associés fiables que quelques mois de présence sur Arrakis avaient formé aux techniques de moissonnage.
La base pose toujours problème. Plusieurs endroits paraissent possibles sur les cartes, mais je dois pouvoir les explorer.
Des éclats de voix le tirèrent de ses pensées. Au détour d’une allée plongée dans la pénombre, deux sardaukars entouraient une silhouette recroquevillée.
– … caché les marchandises que tu as dérobé, vermine?
– Et qui sont tes complices? Le second garde ponctua sa question d’un coup de crosse. Ce qui arracha un gémissement au présumé coupable.
Zylves aurait pu passer son chemin, il n’était sûrement pas là pour attirer l’attention. Mais les procédures d’interrogatoire des sardaukars ne collaient pas avec les agissement de ces deux brutes. Son père et ses tuteurs l’avaient élevé dans le respect des valeurs martiales. Il s’était juré de toujours les respecter, quelles que soient les tâches que le Vicomte lui confierait. Il s’approcha.
– Pardonnez moi de vous interrompre!
Le sardaukar armé sursauta et se retourna à moitié. L’odeur de bière d’épice qu’il dégageait était presque palpable.
– Toi tu viens de faire une erreur fatale.
Sa main serra le manche de son laser.
– Vous croyez? Tout le monde fait des erreurs pourtant.
En prononçant ces paroles, et tout en songeant bizarrement au fils du seigneur Lithanian, il déploya d’un mouvement sec la griffe de poignet qui était cachée sous sa manche, avant de lacérer le dos du premier garde qui s’écroula en se convulsant.
– Poison ! cracha l’autre qui était déjà sur la défensive, son épée à la main.
Zylves réprouvait l’usage de la griffe lors des duels, mais il était face aux redoutables soldats impériaux. Le second sardaukar chargea. Le maître d’armes se laissa tomber en arrière et enfonça sa botte dans la poitrine de son adversaire qui se jetait sur lui. Le garde souffla sous l’impact, et Thira en profita pour lui trancher la gorge avec sa griffe. Il se releva après avoir poussé le cadavre et se tourna vers leur victime.
– Tu peux te lever? demanda-t-il d’un ton calme. Et c’est un enfant qui tourna son visage vers lui. Une fillette aux yeux d’un bleu étincelant.
– Vous m’avez sauvé. Ma vie vous appartient.
Passé le premier moment d’étonnement, Zylves demanda :
– Tu es née sur cette planète?
– Oui.
– Et ta famille, où est-elle?
– Je n’ai plus personne. Elle baissa la tête. Tous les miens étaient autour de la moissonneuse engloutie la semaine dernière par le Grand-Père du Désert.
– Le Grand-Père?
– Le plus gros des vers, un monstre ou un démon.
– Tu l’as vu?
– Oui, j’étais pas loin.
– Et tu connais le désert?
– Du bassin impérial au Mesa Molle.
L’envoyé de Lithanian sourit alors et répondit sur un ton plus cynique qu’il ne l’aurait voulu.
– Alors ta vie sauve va peut-être me servir à quelque chose.
Le lendemain il volait au dessus du désert dans un ornithoptère acheté à prix d’or à un marchand de matériel d’Arrakeen. La luminosité lui faisait froncer les sourcils malgré les vitres à teinte auto-adaptable de l’orni. Sa jeune copilote était manifestement ébahie par le spectacle défilant à grande vitesse sous eux.
Dès le début de voyage il avait organisé un faux crash pour faire croire à leur disparition dans le désert profond, grâce à une épave qu’il avait obtenue pour un ridicule supplément. A présent ils se dirigeaient vers la zone que Zylves projetait d’explorer en priorité, sous l’Erg Mineur.
L’orni débordait de matériel et de provisions. Le maître d’armes était déterminé à ce que ce voyage porte ses fruits.
Après plusieurs heures passée dans le vrombissement des ailes de l’appareil, entrecoupé des directives de la jeune fille, ils se posèrent sur un terre-plein rocheux. Il avait allégé ses vêtements au maximum, pourtant la chaleur l’oppressait toujours. L’odeur de l’épice, charriée par les vents du désert imprégnait tout.
Ce fut la fillette qui prit la parole en premier :
– Ces falaises sont percées de grottes, certaines d’une taille très importante, dit-elle en désignant l’est.
– Très bien, répondit laconiquement Zylves.
Pendant un moment il resta au soleil, à contempler l’horizon. Le panorama était aussi pur que l’acier d’une lame de maître. Pour la première fois, la grandeur intrinsèque à cette planète, considérée dans tout l’Imperium comme un caillou aride, le frappa au plus profond.
– Ne restez pas en plein soleil. Venez.
Elle le tirait par le manteau. Il n’aurait su dire depuis combien de temps elle insistait de la sorte.
Équipé de simple brilleurs et de matériel de sondage, ils parcoururent des heures durant les roches et les grottes. Zylves avait besoin d’une zone discrète mais de taille conséquente, d’accès aisé mais facilement camouflable. Horah, ainsi qu’elle disait se nommer, ne cessait de l’abreuver de recommandations sur la façon d’escalader telle pierre, d’éviter telle crevasse. Il devait bien admettre que ses conseils, pour superflus qu’ils étaient parfois, ne semblaient pas moins avisés. Trois fois ils durent retourner à l’orni. À la troisième, Horah lui conseilla de se poser plus près de l’amas rocheux suivant. L’enfant lui indiqua un endroit où atterrir et le pressa de se hâter.
– Pourquoi un tel empressement?
– Une tempête va venir.
Zylves ne voyait rien d’alarmant dans le ciel. Pourtant dans les minutes qui suivirent ils durent se réfugier à l’abri du vent chargé de sable. Le maître d’armes pria un instant pour que l’ornithoptère ne soit pas endommagé par les éléments. Puis le brilleur lui échappa et roula dans une crevasse. Il jura. Horah sourit en le regardant s’aplatir à la poursuite de leur source de lumière. Le brilleur était tombé dans une sorte de cathédrale minérale d’une taille impressionnante. On eut dit que la montagne était creuse. Et Zylves se tenait sur cet espèce de surplomb qui dominait la salle, séparé de l’extérieur par un mur crevassé.
– Ça va? appela la voix de la jeune fille de l’autre coté de la cloison.
– Le brilleur est tombé, je descends le récupérer.
– J’arrive. Elle se glissa par la fente bien plus facilement que Zylves, et lui adressa un sourire triomphant.
Il utilisa un filin pour se laisser descendre dans la grotte, elle le suivit. Une fois au fond, il ramassa le brilleur et l’éleva le plus haut possible. Un sifflement lui échappa. C’était un espace immense, et sur tout le pourtour de la structure principale se greffaient des couloirs et des salles plus petites. Déjà dans son esprit se mettaient en place les coups de laser a donner et les endroits à consolider.
– Hé bien, dit-il, je crois que nous avons trouvé ce que nous cherchions.
De retour à Arrakeen, Zylves se posa hors de portée des miradors, camoufla l’appareil et rentra dans la ville à pied, toujours flanqué d’Horah. Il rassembla ses hommes de contact, et tout ceux qui lui avaient été recommandés. Il établit avec eux des plans de transport, et organisa leurs disparitions. En quelques jours, les premiers éléments de matériels lourds furent acheminés à la grotte. Il soudoya des fonctionnaires, paya les marchands, et organisa un approvisionnement par navettes, en profitant de l’absence de couverture satellite de la planète.
En un mois à peine la phase d’installation fut pratiquement achevée. Le jour de leur installation définitive, il resta longtemps debout dans une anfractuosité du rocher surplombant l’entrée de sa nouvelle base. Il regardait les hommes qu’il avait rassemblés. Il les payait une fortune pour leur fidélité, mais bientôt, selon les promesses du Vicomte, leur activité allait pouvoir démarrer. Alors, il le sentait, il n’aurait plus besoin des solaris pour les maintenir ensemble.
Horah se tenait près de lui, et là, dans les éclats de voix et les bruits de moteurs, il se demanda pourquoi il ne l’avait pas libérée. Il la regarda et il sut qu’elle aurait refusé de partir. Il descendit vers la petite salle taillée dans les grottes annexes où il avait installé ses quartiers, et rédigea son premier rapport.
Le dernier avant longtemps.