La plus haute fonction de l’écologie est la compréhension des conséquences

Au mois d’octobre dernier se tenait à Lyon la troisième édition du festival des Intergalactiques de Lyon. L’équipe de DAR est associée depuis le début à cette aventure et c’est avec un réel plaisir que je retrouvais le chemin de Lyon pour participer, en compagnie d’Anudar, à une table ronde intitulée « l’écologie dans la saga de Dune de Frank Herbert » (vous retrouvez l’intégralité de cette table ronde en vidéo à la fin de l’article).

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L’écologie dans Dune est bien évidemment un vaste sujet. Aussi, avant de vous présenter la vidéo qui a été faite de cette table ronde, je voudrais revenir sur certains aspects que je n’ai pas pu développer au mois d’octobre.

L’ensemble du Cycle porte à la fois sur la politique et l’écologie mais on ne parlera pas pour autant d’écologie politique. Pourquoi? Parce que Frank Herbert n’était pas un écologiste. On ne trouvera d’ailleurs pas trace d’une idéologie environnementaliste ou écologiste chez Frank Herbert (comme toute idéologie, elle est à mettre au rebut). Pour l’auteur de Dune, il ne s’agit pas de faire dans la contemplation. On est bien loin de la recherche d’un paradis perdu comme pouvait le faire un Vance. Frank Herbert est un écologue, c’est-à-dire un technicien qui s’intéresse à la transformation de la nature, à ses cycles propres, à sa gestion par l’homme. Les différentes transformations planétaires (celles de Dune, qui vise à en faire une planète « verte » puis la démarche inverse pour ramener les Vers à la vie; celle du Chapître à la fin du Cycle) ont un seul objectif: profiter aux sociétés humaines en place.

D’ailleurs, dès le début du Cycle, Frank Herbert, par le biais de la RM Mohiam va s’opposer au courant naturaliste (d’un Rousseau par exemple). Le Gom Jabbar est utilisé par le Bene Gesserit pour lutte contre les instincts « animaux » de l’Homme. On est bien loin de l’Homme bon par nature. L’Homme est un matériel à éduquer pour le Bene Gesserit. Dans l’environnement dunien, c’est bien l’Homme qui est au centre de l’Univers.

Cet état de fait est d’ailleurs clairement défini par Frank Herbert dans sa définition de l’écologie, qu’il nous donne à travers la voix de Pardot Kynes (Dune, Appendice I « Écologie de Dune »):

Beyond a critical point within a finite space, freedom diminishes as numbers increase. This is as true of humans in the finite space of a planetary ecosystem as it is of gas molecules in a sealed flask. The human question is not how many can possibly survive within the system, but what kind of existence is possible for those who do survive.[1]

On le voit ici, ce n’est pas tant l’environnement qui compte que la faculté de l’Homme à s’y adapter. Et, comme toujours avec Frank Herbert, cette adaptation doit être permanente. On le voit très bien dans Dune, lorsqu’au début du Cycle les Fremen modifient Arrakis par petites touches. Avec l’arrivée de Paul, puis de Leto, ce changement va s’accélérer et les Fremen seront incapables de s’adapter. S’en suivra pour eux une longue déchéance (dès les Enfants de Dune) avant de devenir des « Fremen de musée ». C’est d’ailleurs ce que confirme Herbert dans une interview au magazine Mother Earth News[2]. Au journaliste qui lui demande pourquoi cette transformation d’Arrakis vire à la catastrophe pour les Fremen, Herbert répond:

I felt that the historical interrelationship between the native Fremen and their desert planet had created what amounted to a religion. They had learned not to question the way to behave in their environment, but to act in certain ways on faith. They were locked into their system. So, even when the environment changed, the people didn’t change their social mythology, their values, or their ways of relating to one another.[3]

Le cas des Fremen montre bien que pour Herbert l’environnement, la Nature est secondaire. C’est bien l’adaptation/l’évolution qui importe. Dès lors on peut définir l’écologie dunienne/herbertienne ainsi (toujours dans les Appendices à Dune):

The thing the ecologically illiterate don’t realize about an ecosystem, is that it’s a system. A system maintains a certain fluid stability that can be destroyed by a misstep in just one niche. A system has order, a flowing from point to point. If something dams that flow, order collapses. The untrained might miss that collapse until it was too late. That’s why the highest function of ecology is the understanding of consequences.[4]

L’écologie, pour lui, doit être la mise en pratique de cet équilibre entre l’Homme et son environnement. C’est un long apprentissage, d’où les absolus doivent être bannis (c’est ce qu’il affirme dans l’interview de Mother Earth News). Cette idée, cette évolution d’une situation dans laquelle l’Homme d’aujourd’hui se trouve vers une situation qui serait la solution herbertienne se découvre tout au long du Cycle.

Il n’est pas anodin que l’environnement (et l’économie) du Dunivers soit basé sur la notion de rareté (avec en point d’orgue l’Epice pour l’Imperium et l’eau pour Arrakis). En effet, pour Herbert, « les individus devraient suivre leur propre voie pour être plus indépendants et diminuer l’impact sur notre environnement » (Mother Earth News). Cette évolution des consciences ne peut se faire que sur un temps long. C’est ce que prouve Herbert à travers l’exemple des Fremens, qui montre l’échec de l’adaptation à un changement provoqué et mal contrôlé. Au début du Cycle, les Fremen ne changent leur environnement/Arrakis que par petites touches sous l’influence d’abord de Pardot puis de Liet Kynes. Leur environnement et leur mode de vie reste influencé par le manque d’eau. Une fois sous la tutelle de Paul, ce paradigme va changer (cf. le 1er Jihad et la découverte de l’Océan par certains Fedaykins) et c’est toute la civilisation Fremen qui va s’écrouler (encore plus sous l’influence de la Terraformation à grande vitesse engagée par Paul puis Leto). Incapables de s’adapter à ce rythme effréné, les Fremen disparaissent (les Fremen de musée portent bien leur nom). C’est la même chose entre l’Empereur-Dieu de Dune et les Hérétiques de Dune : l’humanité, qui a eu du mal à se remettre de la fin de la Paix forcée de Leto (Grande Famine et Grande Dispersion ne laissent pas présager d’une transition des plus simples), va devoir s’adapter à l’absence/rareté d’Epice. Mais, 3000 années passées sous le joug de Leto lui a permis de s’adapter à un environnement hostile et de trouver des solutions innovantes (Epice de synthèse pour les Tleilaxu ou encore machines d’Ix pour les voyages de la Guilde).

Mais plus que tout, ce qui marque c’est la transition d’un univers « globalisé » à un univers fragmenté, où les mondes semblent plus indépendants que sous l’Imperium. On se rapproche alors du concept de technopaysannerie cher à Frank Herbert.

Cette expression est définie très longuement dans l’interview de Mother Earth News. Elle consiste principalement dans le fait pour les Hommes d’apprendre à juger consciemment les outils dont ils se servent, ils doivent ainsi se servir d’outils qu’ils contrôlent (et non l’inverse) et de maintenir des rapports sociaux dans un système décentralisé. S’adapter à son environnement, réduire son impact permet de « contrôler » son environnement. Ceci passe donc par un retour/rapprochement/contact à la terre doit permettre à chacun de cultiver son potentiel, en devenant autonome dans la satisfaction de ses besoins de base (alimentation, énergie) pour réduire sa soumission à des forces centralisées. Ce n’est pas pour rien si Frank Herbert cultivait ses propres légumes ou avait développé son propre système énergétique (éolien et solaire); il souhaitait vivre cette autonomie.

Bien sûr, nous sommes en loin, nous attendons toujours une solution définitive, absolue pour régler le problème (notamment sur le climat, où nous espérons un accord inter-gouvernemental). Là encore, Herbert nous prévient (notamment dans son essai Dune Genesis[5] publié en 1980) sur le danger des solutions absolues ou des héros/figures providentielles, notamment en matière d’environnement (déjà):

Super-hero concept filled me with a concern that ecology might be the next banner for demagogues and would-be-hero, for the power seekers and others ready to find an adrenaline high in the launching of a new crusade.[6]

Pour revivre l’intégralité de la table ronde sur le sujet:


[1] «  Au-delà d’un point critique dans un espace fini, la liberté décroît comme s’accroît le nombre. Cela est aussi vrai des humains dans l’espace fini d’un écosystème planétaire que des molécules d’un gaz dans un flacon scellé. La question qui se pose pour les humains n’est pas de savoir combien d’entre eux survivront dans le système mais quel sera le genre d’existence de ceux qui survivront. »

[2] lire l’article original intégral et la traduction sur le forum

[3] «  J’estime que la relation historique entre les Fremen et le désert avait créé ce qui s’apparente à une religion. Ils avaient appris à ne pas mettre en doute la façon de se comporter dans leur environnement, et à agir dans certaines conditions selon leur foi. Ils se sont enfermés dans leur système. Ainsi, même quand l’environnement a changé, ils n’ont n’a pas changé leur mythologie sociale, leurs valeurs, ou leurs façons d’agir les uns envers les autres.  »

[4] «  Ce que ne comprend pas celui qui ignore tout de l’écologie, c’est qu’il s’agit d’un système », disait Kynes. « Un système ! Un système qui maintient une certaine stabilité qui peut être rompue par une seule erreur. Un système qui obéit à un ordre, à un processus d’écoulement d’un point à un autre. Si quelque chose vient à interrompre cet écoulement, l’ordre est rompu. Et celui qui ignore l’écologie peut ne pas intervenir avant qu’il soit trop tard. C’est pour cela que la plus haute fonction de l’écologie est la compréhension des conséquences.  »

[5] lire l’article original intégral sur le forum

[6] «  le concept de super-héro nourrit chez moi le soucis que le thème de l’écologie puisse devenir le nouvel étandard des démagogues et des voulants-être-héros, de ceux en quête de pouvoir et de tous ceux prêts à se procurer une dose d’adrénaline en démarrant une nouvelle croisade  »


A propos Leto

Ancien administrateur de DAR, Leto est présent dans le Dunivers français depuis plus de 10 ans.
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3 réponses à La plus haute fonction de l’écologie est la compréhension des conséquences

  1. ionah dit :

    Ah enfin 🙂

  2. BatteMan dit :

    J’avais pour ma part écouté la version audio uniquement et c’était très intéressant ! Merci à tous pour cette très belle initiative !


    /me avait adoré entendre parler de Dune et son univers !

  3. Anudar dit :

    Hello ! Je publie demain matin mon propre article de fond, puis-je te demander de bien vouloir faire le lien d’usage 🙂 ?

    http://www.anudar.fr/2015/04/lecologie-de-dune-entre-science-et.html

    Merci par avance et à bientôt !

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